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Ils leur semblèrent que la laverie avait été une bonne idée. Et, en voyant la devanture, ils se rappelèrent soudain que c'était bien le lieu où le linge était déposé sale et était repris propre. Une sorte de magie obscure paraissait s'opérer à l'intérieur, si effrayante que les deux jeunes gens préféraient ne pas s'en approcher.

Ils déposèrent, comme ils le faisaient toujours, leur panière à laver, juste devant la porte du bâtiment avant de partir en courant.

Le plus souvent, c'était la gentille vieille dame du cinquième qui, prise de tendresse pour ces deux adultes adolescents, s'occupait elle-même d'enfouir leur linge sale dans les machines, ne faisant qu'entretenir le mythe.

La surprise avait visiblement été plus chargée qu'à l'habituel.

Sans se douter une seconde de la réalité de ce mystère, les deux frères rentrèrent tranquillement à la maison, où ils avaient laissé la petite dormir tranquillement dans son panier.

Une fois la porte fermée, le silence s'était fait d'un coup.

L'adrénaline ignoble passée, ils s'étaient rendus compte qu'il y avait tout et à la fois rien à faire.

La réalité les rattrapa bien vite : ils étaient désormais parents et tout allait changer. Rien ne serait plus jamais comme avant et ils n'avaient même pas été prévenus.

De toute façon, même en étant prévenus, le résultat aurait été le même. Quand on ne veut pas de quelque chose, l'annonce de son arrivée ne change rien au final.

Alors, il fallait juste prier pour ne pas compromettre un peu plus la croissance plus ou moins normale de cette enfant dans ce foyer.

Ou du moins, c'est ce que pensait le plus jeune, peut-être même aussi le plus naïf.

— J'ai l'impression d'oublier quelque chose, pensa-t-il à haute voix.

L'évidence frappa de manière conjointe et simultanée l'estomac des trois enfants.

Avec tous les évènements précédents, ils en avaient oublié de manger ; chose qui était pourtant le plus important dans leur vie.

Puis, la petite, après avoir précédemment vidé son estomac dans sa couche, devait certainement avoir le ventre vide. Elle devait être encore plus affamée, en connaissant l'amour pour la nourriture de son ascendance paternel.

— Au bout de combien de temps un bébé meurt de faim ?, questionna Souya avec un intérêt honnête.

— Ils sont pas immortels sur ce point-là ?

— Mais quoi ?

— Tu sais bien que la mort peut pas être cruelle au point de tuer un p'tit bébé comme ça.

Sur le coup, la conclusion parut logique à Angry.

Même si le sort pouvait être bien plus injuste avec cet enfant qu'ils ne l'auraient pensé.

Mais bon, après tout, si c'était ainsi, ça serait ainsi. Que pouvaient-ils faire de plus, de tout façon ? Même si aucun des deux n'avaient voulu de ce bambin, "Dieu" leur avait mis entre les mains, de manière arbitraire et aléatoire.

Le plus jeune semblait avoir oublié que lui et son frère étaient deux individus distincts et qu'ils n'étaient pas forcément sur la même longueur d'onde.

Mais, passons au delà de ça, la petite avait besoin qu'on s'occupe d'elle.

— Enfin, bref, il faudrait la nourrir, s'empressa de dire Souya avec une demi-joie sincère, cherche une page du grimoire pendant que j'la prépare.

Nahoya soupira un bon coup, en se recoiffant sommairement. Il toisa la gigoteuse d'un regard mauvais, tout en fouillant grossièrement dans ses poches. D'un regard détaché, il finit enfin par déclarer :

— Bon, Souya. Comme c'est ta gosse, tu vas prendre le soin de chercher dans le bouquin et moi j'vais faire un tour au resto du coin.

Comme le jeune homme aux cheveux bleus s'apprêtait à contester, Smiley se sentit obliger d'ajouter :

— Avec qui t'as bien pu faire un gosse ?, souffla le plus grand d'exaspération.

Angry le dévisagea soudain de travers.

Argh. Il détestait quand Nahoya était comme ça. À toujours croire qu'il a raison, il n'avait jamais été capable de voir le ridicule de ses remarques.

Il était encore un enfant après tout, comment aurait-il été capable d'en avoir un lui-même ?

Et ils venaient de se rendre compte que la parenté de l'enfant était évidente pour les deux ; ils la croyaient impossible de leur côté respectif.

— Pour tout te dire, je pensais que t'étais puceau mais visiblement non, rit Nahoya.

— Eh-

— Donc vas-y, c'est qui la mère ?

— Cette gosse n'est clairement pas de moi.

— Si, si, elle est clairement de toi. Regarde cette bouille de constipé, sourit le plus grand en agitant la tête de la fillette, tout en lui tenant les joues.

Au moment où il eut fini sa phrase, il sentit une étrange sensation sur sa main gauche ; comme un mélange humide et gluant qui recouvrirait ses doigts. Quand il regarda la source de cette intuition dégoutante, il vit son poing englouti par la bouche élastique du bambin.

Smiley eut un réflexe vomitif, tout en retirant vivement sa main.

Il la secoua ensuite pour essayer de se débarrasser de toute cette bave de bébé et déposa la coupable dans son panier.

— Cette manie de manger tout ce qui passe, c'est clairement de toi.

Angry, qui avait jusqu'ici observé la scène en retenant difficilement un fou rire, reprit immédiatement du sérieux lorsqu'il repensa à un vieux souvenir.

— Impossible, j'te dis, rétorqua Souya avec un soupçon d'affect.

— Rien n'est impossible.

— Et toi, alors ? Y a bien une meuf avec qui t'as couché et qui a donné ça.

— Nan, impossible.

— Mais, j'croyais que rien n'était impossible.

— Fin bref, cette histoire reste à être éclaircie, euuuh-

Le bébé se mit d'un coup à pleurer, déchirant la pièce dans un cacophonie encombrante.

Les deux frères échangèrent un bref regard, qui voulait tout dire. Puis, sans plus attendre, ils se précipitèrent dans le même temps vers le couloir, pour avoir la chance de l'atteindre en premier.

Ils avaient la stupide idée que le dernier à quitter cette pièce aurait la responsabilité de subvenir au besoin urgent du bébé. Stupide car oui, surprise, l'enfant continuerait de pleurer même s'ils se trouvaient dans la pièce adjacente.

— J'en ai déjà marre, se plaint le plus vieux.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 18, 2022 ⏰

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