Entrée en scène

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    Septembre 1851, France. 

Le XIXème siècle, période de grandes mutations. Prenez du recul et survolez cette France en pleine transformation. Le paysage change, les villes se modernisent, le chemin de fer fait une entrée fracassante. Observez Paris, voyez ces demi-mondaines qui s'agitent, ces bourgeois qui marchent le long des avenues en jouant avec leur canne, ou les ouvriers se fracassant en vagues immenses dans des lieux nouveaux nommés "usine", et dépensant jusqu'à leur dernier sou dans des verres d'alcool pour oublier leur misérable condition. Admirez celui qu'on désigne comme étant le premier Président de la République Française et qui,enfermé dans ses bureaux, complote quelques sombres projets. 

À présent, arrachez-vous de ces visions plus ou moins heureuses et portez votre attention sur l'est de la France, sur la Franche-Comté plus particulièrement. Mirez ces verts pâturages s'étendant à perte de vue, ces collines vallonnant le paysage, ces bois encore sauvages, et portez votre curiosité sur le Jura se situant au sud de cette région agricole. Approchez-vous. Encore. Suivez l'Ognon, cette longue rivière s'étendant sur plusieurs départements. Arrêtez-vous lorsque vous arrivez à la ville se nommant Marnay, petite commune aussi grosse qu'un mouchoir de poche et qui est d'une taille ridicule lorsqu'on la compare à Paris. 

Notre histoire va se dérouler dans un de ces villages jouxtant Marnay, tous plus isolés les uns que les autres, comptant plus d'animaux domestiqués que d'habitants. Dans ce petit village, il y avait en son centre une fière église qui régissait la vie de tous. Il y avait également deux châteaux dont un qui était occupé par la famille De Soirelles, faisant la pluie et le beau temps dans ce village. Le second château n'était qu'un héritage ou peut-être un apport pour une dot, et n'avait pas été occupé depuis une bonne dizaine d'années. 

Majoritairement paysans, les maisons de ces habitants n'étaient guère coquettes et se voulaient pratiques. On avait donc supprimé la fioriture mais on les gardait propres et respectables. Néanmoins, une bicoque faisait tache dans ce paysage campagnard. Ils'agissait d'une simple chaumière à l'extrémité du village, assez proche du cimetière,construite à la hâte, et dont la pauvreté de ses occupants leur avait interdit toutes dépenses pour son entretien. Ainsi, le toit en mauvais état crevait de part et d'autre et laissait la pluies'infiltrer à l'intérieur. Si, par d'aventure, quelqu'un venait se présenter à cette demeure et y entrait, il serait frappé par la misère et l'indigence des lieux. La porte s'ouvrait sur une pièce unique et qui avait pour seuls meubles une vieille table d'une époque révolue, une chaise vermoulue, un poêle déglingué qui rejetait sa fumée nauséabonde à l'intérieur, ce qui asphyxiait les occupants,contraints de laisser l'unique fenêtre ouverte en permanence. Enfin, un petit lit de fer occupait une grande majorité de la pièce et complétait l'ensemble. 

Justement, la vieille porte en bois de la chaumière s'ouvrit brutalement. Une jeune fille se précipita à l'intérieur. À son passage, elle renversa la chaise rongée par les termites et se réfugia vers le vieux poêle, le regard hagard et l'air terrorisé. Alors qu'elle plongeait une de ses mains dans la poche de sa robe, une femme très maigre entra en hurlant : 

- V'ens ici, sale morveuse !  

 La jeune fille, rendue chétive et minuscule à cause des nombreuses privations inhérentes à sa condition, se rapetissa davantage. En tremblant, elle mit ses deux mains devant elle, dans une supplique silencieuse. 

- Où qu'il est ?  vociféra la femme. 

Cette dernière se dirigea de façon très menaçante vers elle. Elle avait saisi le balai. 

- Je t'l'demande pour l'dernière fois, Rose. Où est l'argent ? 

La jeune fille ferma les yeux, sachant ce qui allait se passer dans les prochaines minutes.Cette scène, elle l'avait vécue de nombreuses fois. Lorsqu'elle gagnait quelques sous pour ses travaux de couture, sa mère voulait toujours s'en emparer. Si elle voulait s'en servir afin de subvenir aux besoins du foyer, certes ! Mais hélas, ce n'était pas le cas ! Ces maudits centimes qu'elle prenait, elle les dépensait en totalité à la taverne, dans la boisson. Sa mère s'enivrait. Plusieurs fois par semaine, elle rentrait saoule et incapable de se mouvoir seule. Tout le village connaissait son vice et l'appelait « la Marthe, le fidèle pilier de comptoir » et toutes autres sortes d'injures ou de blagues douteuses. Rose ne le supportait plus. Elle ne voulait plus voir sa mère dans cet état et ne plus manquer d'argent pour la nourriture la plus basique et modeste.

LisabethOù les histoires vivent. Découvrez maintenant