Chapitre 2

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Devant son miroir, une monstruosité dorée incrustée de filigrane d'ivoire qu'il soupçonnait fortement d'avoir été conçue par sa grand-mère paternelle, cette dernière ayant commis la majorité de la décoration de la maison de ville de la famille Sidr, Elio marmonnait en tentant sans succès d'ajuster son costume de cérémonie. Ce dernier était traditionnellement un hommage au duché d'origine de son porteur, le tout assaisonné des dernières fioritures à la mode. Dans le cas de Sidr, Elio était plutôt content que le tailleur se soit concentré sur la référence aux immenses forêts qui recouvraient le domaine plutôt qu'aux fourrures luxueuses qui étaient une de ses principales richesses et la coqueluche des dames fortunées. Le résultat était une tenue ajustée comme le voulait la mode, dans un dégradé de verts foncés et verts plus tendres. Seuls les manchettes et le col étaient soulignés par un trait de fourrure, du renard à priori, dont Elio devait admettre qu'elle mettait en valeur sa carnation pâle et ses cheveux roux indisciplinés. En revanche, si les couleurs étaient flatteuses, la coupe ne l'était pas du tout.

Elio se sentait comprimé et mal à l'aise et il avait beau rouler des épaules et passer son doigt entre sa gorge et son col il avait l'impression de se trouver piégé dans une gangue de soie et de draps trop doux. Peut-être qu'à force de porter sa tenue d'éclaireur il avait perdu l'habitude des habits apprêtés. Cette dernière, toute en cuir brun, se moulait parfaitement à son corps à force d'avoir été portée de jour comme de nuit pendant des semaines. Conçue pour être d'une robustesse à toute épreuve et résister aux conditions extrêmes des forêts et montagnes où ses missions l'avaient envoyé, elle devait également permettre tous les mouvements d'un éclaireur, qu'il s'agisse de monter aux arbres, ramper sur le sol boueux ou encore tirer à l'arc, l'arme de prédilection d'Elio. Si le jeune homme admettait que son odeur, qu'on avait déjà qualifié de fétide mais qu'il préférait considérer comme musquée, n'était probablement pas appropriée à une occasion aussi formelle, il ne pouvait s'empêcher de regretter ce qui était devenu pour lui une seconde peau.

La porte de sa chambre claqua, le tirant de ses réflexions vestimentaires. Il darda un regard furieux sur l'envahisseuse.

— Au nom des dieux Cléa, tu pourrais frapper avant d'entrer ! J'aurais pu être nu je te signale !

— Ho mes dieux, loués soient vos bienfaits, mes yeux n'aurait pas survécu à une telle vision d'horreur ! Et ma pudeur ne s'en serait jamais remise, je me serai pâmée et tu aurais dû aller quérir Aléria avec des sels.

Le dos de la main posée sur son front, la jeune femme mima un étourdissement qu'elle fit suivre d'une imitation fort réussie de régurgitation. Elio jeta un regard noir à son ainé, qu'il fit suivre d'un lancer de brosse à vêtements, visant sans aucune pitié la tête de la provocatrice. Celle-ci esquiva le projectile, rétorqua d'une langue tirée et se laissa tomber sur le lit sans aucune grâce.

Elio savait depuis des années qu'il ne serait jamais en mesure de battre sa sœur dans un duel verbal aussi lâcha-t-il l'affaire et reprit l'examen attentif de son malheur vestimentaire sous le regard acéré qui le scrutait.

— Ça ne va pas du tout, commenta soudain Cléa. Le col est trop serré, la veste baille, le pantalon est trop court. On voit tes chevilles et franchement, ce n'est pas quelque chose que je recommande à une bonne digestion. Tu es au courant que tu as des poils qui dépassent ? Qu'est-ce que le tailleur a fichu avec les mesures ?

Elio abandonna le miroir et répondit en levant les yeux au ciel.

— Elles datent de mon dernier passage au domaine, il y a quasiment huit mois, apparemment j'ai un peu grandi depuis.

Ce constat, même s'il n'arrangeait pas ses difficultés présentes, était plutôt une bonne surprise. Dès le début de l'adolescence Elio avait abandonné l'espoir d'atteindre la taille et la carrure de son père, géant blond aux allures d'ours nordique. Tout comme sa sœur, Elio avait hérité des caractéristiques de sa mère, issue des îles Aléoutienne, à savoir une taille moyenne (voir petite dans le cas de Cléa), une ossature fine et ces cheveux flamboyants qui l'avaient tellement gêné enfant mais dont il était plutôt fier aujourd'hui.

La Voie du Consort (MXM romantasy) (sortie aux édition Juno Publishing le 11/04)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant