Prologue

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Un pleur de nourrisson s'éleva dans la salle de travail alors que la mère se relâchait entièrement. La jeune femme avait dans la vingtaine et elle regardait désormais son fils qu'une sage-femme posait sur son cœur et dans ses bras. La mère pleura, envahie par un mélange intense d'émotion et le serra dans son étreinte. On lui reprit ensuite l'enfant pour le poser dans son couffin et l'emmener faire quelques examens nécessaires alors que la mère fut amenée dans sa chambre. Lorsque le berceau hospitalier fut dans sa chambre, la jeune femme ne put détacher ses yeux de la petite créature qu'elle avait mise au monde. C'était donc cela qu'elle avait porté pendant neuf mois ?

Elle n'avait pas voulu de cet enfant, mais quand elle s'était rendue compte de sa grossesse, plusieurs mois avaient déjà passés et elle ne voulait pas pratiquer un avortement. Puisqu'elle était encore en France, on lui avait proposé d'accoucher sous X. Cependant, elle estimait que son enfant avait le droit de connaître sa mère, puisqu'elle n'en avait pas eu la chance. C'était la dernière chose qu'elle pouvait faire pour lui avant de le placer en orphelinat. Mais pour l'instant, ce petit être dormait si sereinement qu'il captivait toute son attention.

Elle avait grandi sans parents, peut-être que cet enfant pourrait avoir cette chance. Mais au bout de combien d'années ? Après combien de déceptions ? En France, un enfant avait une chance limitée de rester dans une famille. Si cela se passait mal à la première et deuxième adoption, il risquait de rester dans cet orphelinat jusqu'à sa majorité. Était-ce vraiment ce qu'elle lui souhaitait ? MeeJoo secoua la tête avant de se retourner.

Un peu plus tard, une sage-femme entra dans la chambre. Elle sourit devant l'enfant et s'approcha de la mère afin de voir si elle dormait. Voyant que cela n'était pas le cas, elle sortit un stylo de sa poche et se prépara à remplir le formulaire.

—     Comment vous sentez-vous maintenant ?

—     Je vais bien.

—     Je suis heureuse de l'entendre. J'aurais quelques questions à vous poser concernant l'enfant. Tout d'abord, vous êtes d'origine coréenne, n'est-ce pas ? Et vous êtes MeeJoo Kim.

Kim MeeJoo hocha la tête et s'installa dans une position propice au dialogue.

—     Ensuite, est-ce que vous pourriez me dire qui est le père ?

—     Non. Je ne m'en souviens pas, c'était un soir de beuverie.

La femme jeta un regard peiné à la patiente. Elle avait bien sûr eu accès à son dossier médical, mais ses propos confirmaient ses doutes. Elle aurait voulu lui dire quelque chose de gentil, mais elle ne savait pas quoi. Et peut-être que cette femme qu'elle avait là devant elle ne le souhaiterait pas. Après tout, il s'agissait de son traumatisme.

—     Est-ce que vous avez pensé à un nom ? Pour l'enfant.

L'étudiante coréenne regarda l'enfant. Elle n'y avait pas pensé. Elle ne voulait pas qu'il porte un nom choisi au hasard. Elle voulait aussi qu'il ait un nom choisi par sa mère. Comme elle, elle aurait aimé. Elle voulait un nom qui lui apporte quelque chose, qu'il soit positif. Elle voulait qu'il ne vive pas une vie triste comme elle, mais brillante.

—     JungHwa, déclara-t-elle. Kim JungHwa.

—     Oh, fit la médecin, gênée. Je crois que je vais vous demander de l'écrire. Il y a une signification particulière derrière ce nom ?

—     Il signifie richesse et brillance. Pour qu'il ait une belle vie.

La plus âgée était touchée alors qu'elle tendait le stylo et les papiers à la jeune mère. Elle se tourna vers l'enfant en souriant. Vraiment, cet enfant aurait peut-être la chance de grandir avec une mère aimante. Peut-être que la mère ne le montrait pas, mais elle commençait à s'attacher. Peut-être même qu'elle commençait à puiser sa force dans ce petit être. Comme pour acquiescer et approuver son nom, JungHwa ouvrit ses yeux. Deux perles noires brillantes. MeeJoo rendit ses affaires et suivit le regard de celle qui s'occupait d'elle. Ces deux billes la troublèrent et elle détourna le regard. Le geste ramena la sage-femme à la situation et elle récupéra les objets avant de continuer le dossier médical.

—     Si je puis me permettre une dernière question personnelle, fit soudainement la quarantenaire, qu'elle est la signification derrière votre prénom à vous ?

—     Belle comme le jade.

—     Il vous va bien, sourit la plus âgée avant de quitter la pièce.

—     Merci.

La mère se tourna ensuite vers son enfant. Ses yeux étaient encore ouverts et ils fixaient ceux de la jeune femme. Cette dernière ne put vraiment résister et se décida à prendre l'enfant dans ses bras. Les gestes lui venaient naturellement, et bientôt, un sourire se pointa sur ses lèvres alors que le nourrisson bougeait légèrement ses mains devant lui.

Tous les jours, et plusieurs fois par jour, la sage-femme venait les voir, leur parler, vérifier leur santé à tous les deux, et souriait en voyant le lien entre les deux se faire plus fort et bien plus visible. Il était peut-être temps pour elle de lui avouer quelque chose. Alors, elle prit une chaise, l'approcha de la mère alors que l'enfant dormait.

—     Je ne sais pas vraiment comment vous l'annoncer, alors je ne vais pas prendre de pincettes. Il faut que vous sachiez que si vous continuez de vous occuper de JungHwa à l'avenir, il vous demandera beaucoup de temps, de patience, et d'attention. Bien plus qu'un enfant normal. Il est atteint de la trisomie 21.

—     Trisomie ?

La coréenne ne comprit pas. Voyant que sa soignante n'arrivait pas à trouver la traduction de ce mot en anglais, elle récupéra son téléphone et le chercha. Les deux femmes en parlèrent ensuite. Doucement pour ne pas réveiller l'enfant.

Six ans plus tard, Mee-Joo salua ses collègues de travail et se dirigea vers sa voiture. Elle installa d'abord JungHwa avant de se mettre devant le volant. L'enfant ne parlait pas encore, il ânonnait et faisait des bruitages. Cependant, il restait un enfant souriant et aimant.

Après être retournée en Corée, sa mère avait quitté ses études littéraires pour se diriger vers des études plus médicales. Elle avait eu de la chance de pouvoir compter sur l'une de ses amies pour s'occuper de l'enfant quand elle travaillait à la fois pour ses études et à la fois pour ses différents mi-temps. Elle avait ensuite fini par trouver un emploi d'abord en tant que stagiaire puis en tant que salariée fixe dans un centre spécialisé pour enfants handicapés dans la banlieue de Séoul où elle gardait désormais JungHwa.

La mère et l'enfant avait des activités bien précises pour chaque jour de la semaine, une fois sortis du centre. Le lundi et le mercredi, ils allaient au parc de jeux. Le mardi ils faisaient leurs courses. Le samedi matin, ils se promenaient mains dans la main dans les espaces verts. Des promenades très courtes cependant, mais suffisantes. Le vendredi, le centre fermait ses portes plus tôt, donc ils en profitaient pour aller dans une bibliothèque calme, qui n'accueillait jamais beaucoup de monde. Le jeudi, le dimanche et le samedi après-midi, ils restaient à la maison.

*        *      *    *  *
Bienvenue dans le monde de « Juste nos vendredis »
Une histoire qui se déroule dans la tranquillité d'une petite bibliothèque, dans la tranquillité d'une petite routine du vendredi, dans la tranquillité d'un petit cocon familial. ^^

Au prochain chapitre !
(Certainement pas dans la tranquillité de l'auteure, mais laissez moi vous montrer une nouvelle facette de ma personnalité par-là)

Juste nos vendredisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant