Ou comment devenir un con

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-Tu veux quoi?
C'était une bonne question. Qu'est ce que je voulais? Qu'est ce que je foutais ici? Je m'étais juré de ne jamais remettre les pieds dans un endroit pareil. Un repère de perdus, voilà ou je me trouvais.
Les enceintes crachaient une mauvaise musique qui devait sûrement être le tube du jour. Demain ce serait une autre, pensais-je quelque peu nostalgique.

-Eh j'ai pas que ça a faire, t'es pas le seul client ici. Alors grouille toi, me lança un garçon imberbe de l'autre côté du comptoir.

Sa petite voix nasillarde m'exaspérait déjà. Il me toisait d'un regard qui se voulait surement menaçant mais la chemise rose qu'il abordé enlevait toute crédibilité.

-Une bière.
Avec un soupire d'exaspération il attrapa un verre au dessus de le lui, le colla sous le robinet, l'actionna machinalement jusqu'à ce qu'une mousse grisâtre déborde du verre, et me le tendit. Une machine y aurait mis plus de sentiment.
Je me perdis dans la contemplation de cette mousse crépitante et bien plus en vie que moi.

Je savais que je faisait une grosse connerie. J'avais l'alcool méchant et dépressif, ce qui était une très mauvaise combinaison. Mais une soirée sur ce comptoir poussiéreux était bien plus attrayant que mon canapé-pizza-télé, habituel.
Je n'en pouvais plus de cette répétition monotone qui faisait perdre tout attrait a cette vie de merde que je menais. Alors j'attrapai mon verre et avalai impatiemment quelques gorgées.

Ça y est, songeais-je avec une amère ironie, je suis foutu.
La chaleur de l'alcool s'empara de ma poitrine.
Me détendant un peu, je regardais pour la première fois le lieu ou je finirais misérable.

Les tables crasseuses étaient entassés dans un coin pour laisser place a une piste de danse. Une dense foule s'y agglutinait, trépignant, se déhanchant, transpirant en rythme. Les filles se haussaient sur des échafauds pour agrandir se que les mâles rêvaient d'écarter. Eux passaient près d'elles, leurs mettant la main au cul, se sentant au summum de la subtilité. Ils se draguaient pour passer le temps sans se soucier des cœurs qu'il fallait ensuite ramasser a la petite cuillère. Ils étaient misérables et j'étais pire qu'eux.

Mon verre vide, j'en demandais un autre.
La pluie battait les carreaux du bar. Je me sentais en communion avec les pleurs de Dieu.
Mon portable sonna. Il affichait Mona. Je raccrochais. Il me fallait plus de chaleur pour réchauffer mes veines qui venaient de se glacer. J'engloutis nerveusement mon deuxième verre, attendant impatiemment qu'il fasse effet. J'avais un besoin urgent d'anesthésiant. Mon regard se perdit dans la foule et s'accrocha tout d'abord a une chevelure rousse. Mon ventre se serra sous le coup de poignard que venait de m'infliger mes souvenirs.

Les traîtres.

Le frêle petit bout de femme au cheveux chatoyant se trémoussait dans les bras d'un homme qui semblait a deux doigts de lui sauter dessus. La chanson terminée elle se détacha de lui pour se diriger toute fière vers les toilettes. Mais au dernier moment elle bifurqua et se faufila vers la sortie, sans un regard en arrière. Lui, riait avec un autre homme, se réjouissant sûrement d'avoir de la chaire fraîche pour terminer sa nuit. Il était loin de se douter que sa proie avait filé. Cette scène ne fit que m'assombrir un peu plus. J'ordonnais un troisième verre.

J'étais en pleine méditation sur la fourberie des femmes quand un petit homme tout de noir vêtu qui affichait une calvitie avancée, s'assit gauchement a côté de moi. Il semblait nerveux, se balançant d'un pied a autre. De longues coulées de sueurs dégoulinaient de ses temples. Il commanda une bière qu'il ne toucha pas. Soudainement il se tourna vers moi et me détailla avec attention. J'étais alors trop atteint pour détourner poliment mon regard. De plus il m'exaspérait a me regarder avec autant d'insistance.

-Etes-vous prêtre? Me demanda-t-il tout aussi soudainement qu'il m'avait regardé.
Sans attendre de réponse que je n'aurais même pas daigné donner, il poursuivit:

-Je dois me confesser. Il faut, je n'en peux plus, je dois parler, je dois, vous comprenez, il le faut, c'est pas ma faute, elle était méchante, elle voulais plus, le soir, et moi j'en avais besoin... Il le faut, mais... Elle voulais plus vous saisissez? Alors... Alors je l'ai fait. Je l'ai fait! Et je ne regrette même pas. Mais, je devais, il fallait...

Le petit homme devint minuscule, il rapetissait a vue d'œil sous le poids de ses fausses confessions. Il nageait dans sa sueur, balbutiant des mots incompréhensibles. Je n'avais jusqu'à lors jamais ressenti autant de dégoût pour un homme.

-Je comprend rien, grognais-je me désintéressant de lui.
- Non, non! couina-t-il en battant frénétiquement ses petits boudins qui lui servaient sans doute de bras. Devant ce signe évidemment que je devait me rapprocher, je daignai m'intéresser encore un peu a lui. Il lançait des coups d'œil paniqués en direction de la porte. Je dus faire un effort surhumain pour me contraindre a m'approcher de ce déchet humain, mais un étrange pressentiment m'alertais.
Le petit homme pencha son horrible bouche vers mon oreille pour me chuchoter quelques mots.

Je reculais vivement, désaoulant sec.
Le petit homme avait déjà filé vers la sortie.
Un petit homme qui avait tué sa femme.

ImpitoyableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant