Ou comment disjoncter

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"Utopia. C'est beau." lui dis-je distraitement, trop concentré par la caresse de ses doigts.

"Ca en jette, hein? Mais je préfère Pia. Les gens ils retiennent pas Utopia et après ils se trompent tout le temps sur ton prénom et après ils finissent par en avoir raz le bol de pas savoir comment t'appeler donc ils t'appellent plus. Vous avez jamais remarquez ça monsieur? Comment les gens ils fondent leurs amitié sur la première rencontre? Suffit que t'ai un prénom un peu bizarre et t'es foutu."

Je l'écoutais subjugué: elle sortait un flot continu de débilité mêlé a une réflexion inconsciente sur les relations humaines, tout ça comme une italienne gazouillerais a son amoureux qu'il serait l'heure de se lever un matin ensoleillé de vacances.

"Et vous m'sieur, vous vous appelez comment?" Me demanda-t-elle innocente.

Ses doigts passèrent dans mes cheveux. Mon corps frissonna de plaisir.

"Mathieu... Je m'appelle Mathieu" balbutiais-je.

Elle rit charmée, que trop consciente de l'effet qu'elle me faisait.
"Et si on déjeunait?"

J'acquiesçais et la suivi jusqu'a la cuisine, presque timidement. Elle me rendait étrangère de mon propre appartement, régnant naturellement sur les lieux.
Croquant a pleine dent dans une pêche, la peau explosa et le jus sucré dégoulina sur ses doigts manucurés. Ses yeux balayèrent distraitement mon appartement, captant d'un regard tous les petits détails que formaient ma vie. Je me sentais désagréablement anxieux. Son effet sur moi m'exaspérais.

"C'est sublime" murmura Utopia les yeux rivés sur une de mes photographies.
Elle s'essuya les doigts sur mon t-shirt en s'approchant de plus près vers une de mes plus belle réussite: une petite fille tenant son doudou a la main et marchant en équilibre sur un rebord comme peuvent marcher les enfants qui se racontent une histoire, levant hauts les jambes. Par effet d'optique, on avait l'impression qu'elle allait tombé du haut d'un immeuble, plongeon vertigineux sur Paris. J'avais passé la photo en noir et blanc, conférant a la photographie ce qu'il lui fallait de nostalgie.
Pia suivi du doigt les contours de la fillette.

"Si elle tombe, on est perdu" chuchota-t-elle, plus pour elle-même que pour moi.

Je fut alors brusquement pris d'un terrible flash-back : Utopia fut remplacée par une jolie rousse aux jambes élancés totalement dénudés qui excitait mon imagination.
La jeune femme contemplait ma photographie, un verre de vin vide dans les mains.
"Alors qu'en penses-tu?" Demandais-je derrière elle en remplissant son verre.
Je pu entendre, des années après, l'inquiétude dans ma voix.
La jeune rousse souriait espiègle, consciente de l'importance de sa réponse.
"Hum... C'est mignon..." me dit-elle d'un ton faussement hypocrite avant de rire devant ma mine déconfite.
"C'est ma préférée. Vraiment Mathieu, c'est du grand Art." me rassura-t-elle.
Ivre de joie, je déposais un baiser sur ses lèvres enivrées. Rempli de désir, mes mains se baladaient sur ses hanches, et je bougeait doucement au son d'une musique que moi seul entendait. Pourtant l'objet de mon désir ne cessait d'observer mon œuvre et je pu voir, ma tête sur son épaule, ses doigts frôler l'image de la fillette.
Puis elle leva vers moi des yeux remplis de tristesse:
"Si elle tombe, on est perdu." me murmura-t-elle.

Je clignai des yeux, Utopia réapparu. Sur l'instant, je la maudis d'être ici a la place d'une autre.
Et quelle autre!

"Quel âge as-tu?" la questionnais-je subitement.

Je regrettais aussitôt ces paroles. Utopia se raidit et me lança un regard plein de méfiance.

"Je le savais. T'es réellement flic."
"Ridicule" lui répondis-je déconcerté.
"Putain, j'en étais sur! Tu mentais pas l'autre soir, personne n'invente une histoire de poulet. Merde quoi, j'ai rien fait de mal monsieur l'agent."
"Mais Pia... je suis pas flic."
"Ouais bas c'est exactement ce que dirait un flic en filature. J'me casse d'ici moi."

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 12, 2015 ⏰

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