Vidéo 1 #duculduculducul

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Avant tout, planter le décor : ma tête de déprimée éclairée par un ordinateur portable, ma main qui touille sans arrêt mon café de minuit inachevé, le tout dans mon « petit studio bleu » en banlieue parisienne. Ouais. Y a plus glamour comme mise en scène. Même si j'installais le cactus à la place de la plante verte, ça n'améliorerait rien. La vie, c'est pas Instagram.

Je regarde un film sur Netflix avec ma besta. Elle n'a pas l'abonnement, alors je partage un de mes comptes invités. En échange, elle me permet de mater du contenu de Disney + par partage d'écran. C'est dire si on est archi en confiance, pour que je prenne le risque que cette critique de films invétérée envoie un jour une plainte au SAV de Netflix avec mes coordonnées. En même temps, c'est la graphiste et monteuse de mes vidéos, dont le contenu pourrait vite se faire passer comme pornographique si on les postait ailleurs que sur mes comptes sociaux, avec un montage pernicieux. J'en connais qui ont essayé.

On est connectées sur Messenger en audio pour commenter ensemble « Holidays », un film de Noël phare de la chaîne qu'elle m'a vendu comme « pas trop gnangnan ». OK, c'est pas aussi improbable et kitsch que leur saga de prince tombant amoureux d'une journaliste déguisée en bonne par inadvertance -sérieux, qui y croit, à cette histoire ? -, mais je m'ennuie devant ces trucs guimauves. J'aime pas les films de Noël, voilà, c'est dit ! J'attends les tomates à paillettes qui voleront en tintant comme des grelots. Mais évidemment, il ne se passe rien ! Je discute dans ma tête avec des amis virtuels, comme quand je parle dans une de mes vidéos avec comme seule compagnie une camera. Certes, il y a les tchats et les commentaires, toute une communauté derrière moi, c'est cool, mais...

— Mademoiselle Gasquet, je vous entends bâiller !

— Mademoiselle Licourt, je vous entends râler ! rétorqué-je en grimaçant un sourire cynique.

— Je te soutiens, Kathleen ! lance son mec de loin. Ce gars est trop beau pour être célibataire à son âge ! Il a même pas l'excuse d'être un gros con.

— Pff, à deux contre moi, j'ai aucune chance. C'est bon, j'ai compris, je terminerai ça toute seule, et toi, chéri, laisse-moi bouder tranquille.

Un petit rire s'éloigne, tandis que je coupe la vidéo. Je sais pas, un soir sans doute que j'aurais eu le courage de le finir avant de me plaindre, mais leurs petits cadeaux, bisous et mains nouées n'aidaient pas à relativiser sur ma solitude. En plus, ça manquait sérieusement de...

— Tu veux pas plutôt voir 365DNI ? Au moins, y aura des scènes de cul détaillées, là-dedans.

— QUOI ? s'insurge ma complice. Mais c'est truffé de culture du viol ! La nana est neuneu au possible, toi qui aimes pas ça, elle évolue pas, elle... !

Et c'est parti pour le monologue ! Elle est tellement prévisible. Je m'écarte d'un coup de roulettes du bureau pour atteindre mon lit et la nuisette dessus, puis me change en ponctuant son discours enflammé de quelques « hm hm » « okay » pour montrer que je suis toujours là. En vrai, je m'en fous un peu de la raison pour laquelle ce film serait ceci ou cela, la vérité c'est que je ne serais pas contre un porno, tellement je finis par ignorer à quoi ça ressemble, un corps de mec nu. Mais c'est pas un truc à dire à Caroline. Je vais tenter plus léger ; lorsqu'elle arrête enfin d'argumenter de tout son saoul, je lui lâche un laconique « Je crois que je suis en manque ».

— De quoi ?

— De cul, rhôô, patate !

Elle se flanque d'un rire un peu nerveux, pendant que je récupère mon pc pour m'allonger dans mon lit avec lui posé près de l'oreiller. Le voilà, mon copain de couette ! Pas de chair ni d'os, juste du métal et des lumières artificielles qui me rendent plus blafarde que je ne le suis déjà. J'imagine ma copine replète se secouer sur son fauteuil, avec ses lunettes qui bondissent légèrement de son nez lorsque ça part en fou rire. Elle envoie dans notre conversation un gif célèbre de nana tapotant un tableau de réunion couvert de « Du cul ! ». C'est ça, ma vieille, t'as tout compris. Ca se sent que je ris jaune, non ?

Les yeux bandésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant