Heaven
Pour la dixième fois depuis que j'ai mis les pieds dans le club, je me répète que j'aurais dû écouter Colin et décliner l'invitation. Est-ce que cela aurait changé quelque chose ? Je dois avouer que, là, tout de suite, plantée dans un recoin de la salle sombre, à siroter un soda en attendant que Monsieur Archibald Johnston daigne m'accorder un regard, je ne comprends pas pourquoi je m'inflige une telle torture. Lui s'amuse, hèle des connaissances, descend plusieurs verres de vodka dont j'ai perdu le compte et le voilà même qui flirte ouvertement avec la barmaid ! Oh, il reste fidèle à lui-même, et c'est, je crois, ce qui m'a séduite, chez Archibald : cette capacité à attirer la lumière. Or, ce soir, j'aurais aimé qu'il sorte un peu de son schéma habituel, pour m'accorder un peu plus d'attention. Mine de rien, j'ai une boule au ventre, la sensation désagréable que quelque chose va mal tourner, dans son affaire. Et je ne peux m'empêcher de craindre le pire. À plusieurs reprises pourtant, il revient près de moi, effleure ma joue, me souffle des mots doux à l'oreille ou dépose un baiser rapide sur mes lèvres. Juste quelques miettes d'attention avant de repartir jouer les tombeurs auprès de la barmaid. Mais à l'instant où je décide que j'en ai assez et que je claque mon verre sur le comptoir, prête à me lever pour partir, une grande main tatouée pose un billet sur le zinc. Un sifflement rapide émis par l'homme attire l'attention de ladite serveuse qui, aussitôt, hoche la tête et s'éloigne. Il me faut une demi-seconde pour décider si j'ai envie ou non de découvrir à qui appartient cette main calleuse, couverte d'encre noire. Lorsque je lève les yeux, c'est pour croiser le regard sombre d'un homme à la mâchoire carrée et à la barbe naissante, terriblement sexy. Ses prunelles sombres, l'assurance qu'il dégage, ses traits racés... Tout en lui est un appel à la luxure. Mais mes ardeurs sont bien vite calmées lorsque je reconnais le symbole tatoué sur le côté droit de son cou, dépassant tout juste de sa chemise impeccable : un petit trident accompagné d'un lys.
En bonne élève, je me remémore les leçons données par Stone, l'un des plus anciens hommes de mon père. Il me répétait que, le principal, c'est de connaître son adversaire. Aussi, il passait son temps à me parler des différents clans, gangs ou qu'importe le titre qu'on leur donne. « Ils restent les ennemis », répétait Stone. Alors, ce soir, en reconnaissant la marque d'un des clans les plus craints de Sicile, mon sang ne fait qu'un tour. Mes dents se plantent dans ma lèvre inférieure alors que je jette un regard à Archie : cet idiot continue de sourire, tout en alpaguant l'homme au costume :
— Diego ! Te voilà enfin ! J'ai bien cru que vous m'aviez oublié !
Sortis de nulle part, deux autres hommes en complet apparaissent de chaque côté de celui que je suis à présent certaine d'appeler mon ex aussitôt que cette histoire sera réglée, et le poussent gentiment mais fermement vers Diego et moi. Ce dernier pose sa main sur mon coude et m'invite à le suivre à voix basse, le visage penché vers mon oreille :
— Tu es gentille, tu nous suis sans faire d'histoire.
Je déglutis avec appréhension, mais la tête haute, je me lève et dégage mon coude en lissant ma blouse. Quoi qu'il arrive, je refuse de lui laisser croire qu'il a l'ascendant sur moi. Après tout, je ne suis pour rien dans cette histoire. Non, rien, si ce n'est donner ma confiance à cet abruti qui marche devant moi, sans cesser son babillage. Est-ce qu'il a toujours été aussi idiot, avec un verre dans le nez ?
Les trois hommes nous escortent jusqu'à une porte dérobée, qui donne sur un escalier. Sans surprise, la volée de marches nous amène directement à un espace privé, où les basses de la musique nous parviennent difficilement. Là, derrière un bureau massif en merisier se tient Pedro Di Meglio, chef des Dio Mio, une branche plutôt redoutable de la Cosa Nostra. Celui qui nous toise dès notre entrée est craint par la moitié de l'Europe. Son nom ne fait pas autant frémir que celui de Logan Ferguson, mais on est clairement dans la même lignée. Seule différence ? Di Meglio n'est pas réputé pour son fair-play. Alors j'ose espérer qu'Archie ne s'est pas plus enlisé que ce qu'il m'a raconté. Autrement, je peux faire une croix sur mes espoirs de m'en sortir sans l'aide de mon paternel.
VOUS LISEZ
Heaven [Roman orphelin]
RomanceIan s'est fait une promesse : plus jamais, il ne se laissera son travail empiéter sur sa vie. A trente ans, il a choisi de tout quitter pour vivre de sa passion. Il parcourt donc l'Europe avec son appareil photo, privilégiant les reportages qui lui...