Chapitre2

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Assis au bar, Kane sirotait un whisky et réfléchissait à ce que son frère venait de lui raconter : qu'il ne se sentait pas heureux dans son couple et qu'il passait tous ses vendredis soir à boire ici au lieu de rejoindre sa femme et ses enfants. Curtis lui avait même avoué aller au bureau le week-end afin d'échapper à la tension et aux disputes à la maison.

Pour Kane, c'était le choc. Dire que ces dernières années, il avait envié la vie de Curtis, sa femme Lisa, ses deux superbes enfants. Une famille en apparence si unie !

Mais la vérité n'avait manifestement rien à voir avec la vision idyllique qu'il avait de la vie conjugale de son frère jumeau. Et Lisa ne lui donnait pas non plus l'image d'une femme épanouie. Son rôle de femme au foyer semblait l'ennuyer et elle se languissait sans aucun doute de la compagnie des adultes. Pour ne rien arranger, le petit Joshua, âgé de deux ans, devenait aussi capricieux que Cathy, sa grande sœur de quatre ans, qui refusait systématiquement d'aller au lit. Lisa ne savait où donner de la tête, et la vie sexuelle du couple s'était vue réduite à néant.

Curtis, dont l'aisance à communiquer n'avait jamais été le fort, sortait de plus en souvent et sa femme ne lui adressait plus la parole. Il n'avait qu'une hantise : qu'elle le quitte en emmenant les enfants. Voilà pourquoi il avait appelé son frère à la rescousse ce soir. Kane, qui était encore au bureau à rattraper le travail catastrophique d'un employé, avait aussitôt accouru à ses côtés, comme chaque fois que son jumeau avait un problème. Il en était ainsi depuis leur enfance.

- J'aime ma famille et je ne veux pas la perdre, sanglotait Curtis dans sa bière, à peine dix minutes plus tôt. Dis-moi quoi faire, Kane ! Tu trouves toujours une solution.

Kane l'avait regardé avec sévérité. D'accord, il comprenait que Curtis puisse croire qu'il pouvait tout résoudre. Après tout, n'avait‑il pas fait fortune grâce à ses livres sur les meilleurs moyens d'obtenir ce qu'on veut au travail ? Ses séminaires attiraient des foules monstres, et les cachets pour ses interventions publiques atteignaient à présent des sommes vertigineuses. Son best-seller, Le succès au travail, était traduit dans de nombreux pays.

Plus tôt cette année, il avait parcouru les Etats-Unis de long en large pour assurer la promotion de son dernier ouvrage, et il en était sorti épuisé. Ainsi, depuis son retour en Australie, il avait mis un frein à ses interventions. Il pensait prendre des vacances quand son ami Harry Wilde lui avait demandé de s'occuper de son agence de publicité pour le mois de décembre, tandis qu'il partait en croisière avec sa famille. Kane avait sauté sur l'occasion de se changer les idées. Il considérait ce défi comme une bonne façon de se divertir, mais aussi de vérifier que ses préceptes pouvaient s'appliquer à n'importe quel milieu professionnel. Et jusqu'ici, c'était le cas. Malheureusement, sa stratégie pour remporter un succès professionnel ne s'appliquait pas vraiment à sa vie personnelle. Avec un divorce et une vie sentimentale désormais vide, il n'était pas vraiment le conseiller idéal en matière conjugale.

Mais s'il y avait une chose dont il ne doutait pas, c'était qu'on ne résolvait rien à noyer ses soucis au comptoir d'un bar. Bien sûr, c'était dans la nature de Curtis que de fuir les problèmes. Il avait toujours été le jumeau timide, celui en retrait. Celui qui devait être protégé. Il n'avait jamais eu l'ambition et l'assurance de Kane, et d'ailleurs celui-ci admettait volontiers que ce ne devait pas être facile d'avoir un frère jumeau tel que lui-même, toujours battant. Mais à présent, il était grand temps que Curtis se reprenne en main et affronte ses responsabilités. Il avait une femme et deux gamins formidables qui avaient besoin de leur père. Il devait se montrer fort, alors qu'il agissait en lâche.
Bien sûr, Kane se gardait bien de lui faire part de cette dernière remarque. La règle numéro un qu'il enseignait aux grands patrons d'entreprise était de ne jamais dénigrer ses collègues. Eloges et encouragements marchaient bien mieux que critiques et reproches. A la lumière de ce principe, Kane avait prononcé un de ses meilleurs discours à son frère en lui rappelant quel type super il était. Super frère, super fils, super mari et super papa. Et même super comptable, son métier. N'était-ce pas son frère qui se chargeait de remplir sa feuille d'impôt, chaque année ?

Kane lui avait assuré que sa femme l'aimait et qu'elle ne le quitterait jamais. Sauf si elle pensait que lui ne l'aimait plus. Ce qu'elle ne tarderait pas à croire, lui avait‑il rappelé. Il lui avait donc conseillé de rentrer chez lui dire à Lisa qu'il l'aimerait jusqu'à sa mort et qu'il était désolé de ne pas avoir été là quand elle avait besoin de lui.

- Et quand Lisa tombera dans tes bras en pleurant, avait ajouté Kane, emmène-la au lit et fais-lui l'amour. Apparemment, vous en avez grand besoin !

A présent seul, Kane laissa échapper un long soupir et posa les yeux sur son verre. Un seul divorce, le sien, était amplement suffisant dans la famille ! Il ne savait même plus la raison qui l'avait poussé à épouser Nathalie. Pour un homme censé se montrer plein de flair, il avait fait preuve d'une belle naïveté. Leur mariage avait été condamné dès le début.

- Bonsoir, vous.

Kane releva les yeux pour apercevoir une magnifique créature blonde se glisser d'un mouvement sensuel sur le tabouret à côté du sien. Toutes ses formes, et elle n'en manquait pas, étaient mises en valeur. L'espace d'une seconde, Kane sentit son instinct de mâle s'éveiller en lui. Puis, il regarda les yeux de la jeune femme.

De beaux yeux, certes, mais dénués d'expression. Kane ne pouvait s'intéresser à une personne au regard si terne. Nathalie, elle, avait des yeux expressifs. Dommage qu'elle n'ait jamais voulu d'enfants...

- Vous m'avez l'air bien seul, ajouta la blonde avant de commander au barman une coupe de champagne. Mauvaise semaine ?

- Non, bonne semaine. Mais triste soirée, répondit Kane en songeant aux ennuis de son frère.

- La solitude est bien triste, c'est vrai.

- Ce n'est pas mon cas, je vous rassure.

- Vrai, puisque je suis là.

- Mais peut-être veux-je être seul...

- Personne n'aime être seul.

Kane la dévisagea. Ses paroles touchaient juste. Oui, elle avait raison : personne n'aimait la solitude. Y compris lui. Mais son divorce, quinze mois plus tôt l'avait rendu méfiant. Il n'avait pas eu la moindre aventure depuis, malgré les nombreuses offres qu'il avait reçues. Les femmes ne manquaient jamais de lui proposer une aventure d'un soir ou d'un week-end, pourtant, ce genre de liaison ne l'intéressait plus. Ce qu'il voulait, c'était une relation comme celle de Curtis... avant qu'il ne découvre la vérité à propos du couple en apparence idéal que celui-ci formait avec Lisa.

Il voulait simplement une femme disponible, une femme qui ne souhaitait pas consacrer sa vie à sa carrière mais à sa famille, au moins pour les premières années. Mais, à présent, il ne croyait plus à l'existence d'une telle femme. Celles qui l'attiraient avaient systématiquement un travail prenant. Certes, elles se montraient intelligentes, drôles et sexy. Mais elles restaient avant tout de vraies battantes qui ne voulaient pas s'encombrer d'un mari et d'enfants.

- Allons, prenez la vie du bon côté, lui murmura alors la blonde. Une de perdue, dix de retrouvées. Buvez donc un autre verre.

Mauvaise idée, se dit Kane. Il n'avait rien mangé ce soir, et le whisky commençait à lui monter à la tête. Cette femme ne l'intéressait pas, pourtant il ne voulait pas rentrer et se retrouver seul chez lui. Il décida de prendre un dernier verre avec elle, puis de s'excuser et de partir manger quelque chose en ville.

Un troublant malentenduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant