Le bar dans lequel était censé boire Curtis Marshall se trouvait en sous-sol. Juchée sur des talons de près de dix centimètres, Jessie descendit les marches avec une infinie précaution. De la musique lui parvint aux oreilles. Du jazz. Ce n'était pas sa musique préférée, mais peu importe ! Elle était là pour remplir sa mission, pas pour se divertir.
Alors qu'elle atteignait la porte d'entrée, le portier la contempla des pieds à la tête.
- Très jolie, murmura-t‑il tandis qu'elle s'engouffrait par la porte ouverte.
Jessie ne répondit pas. Poings serrés, elle avança dans la pénombre enfumée vers la salle encore peu animée. A 21 heures, la plupart des employés de bureau étaient rentrés chez eux, et les fêtards du week-end n'allaient sans doute pas tarder à prendre le relais.
Le décor lui rappela le style des années folles, avec son petit orchestre dans un coin, ses sièges de cuir et ses boiseries délicatement sculptées. De petits compartiments privés le long d'un mur faisaient face au bar où s'alignaient de hauts tabourets. Un grand miroir s'étirait derrière les rangées de bouteilles et permit à Jessie d'observer les visages des quelques clients qui y buvaient.
Elle reconnut l'homme tout de suite, assis à côté d'une femme blonde qui semblait lui faire la conversation. Elle vit celle-ci se pencher et lui murmurer quelque chose à l'oreille. L'homme fit aussitôt signe au barman.
La blonde lui avait‑elle demandé de lui offrir un verre ? Etait‑il justement en train de faire ce que sa femme suspectait de lui ? se demanda Jessie. Dans ce cas, quel soulagement de ne pas avoir à flirter avec lui ! se dit‑elle. Il lui suffisait de filmer discrètement la scène qui se déroulait sous ses yeux pour avoir la preuve de son infidélité sans s'impliquer dans l'histoire.
Quand elle se rapprocha, elle sentit toutefois son estomac se nouer. Elle détestait toujours autant ce travail même si, pour une fois, ce serait facile.
Pense à l'argent que tu vas gagner, se rappela-t‑elle en guise d'encouragement avant de s'asseoir sur un tabouret non loin de l'homme. Pense au visage radieux d'Emily quand elle verra que le Père Noël lui a apporté la poupée de ses rêves.
Cette pensée l'aida un peu. Elle posa son sac sur le comptoir, en sortit son téléphone portable d'un air parfaitement décontracté, puis fit mine de vérifier ses messages avant de le placer sur le bar de façon à avoir un bon angle de la scène à sa gauche.
- Merci, roucoula la blonde quand le barman déposa une coupe de champagne devant elle. Alors, à quoi buvons-nous, beau gosse ?
L'homme releva la tête, et Jessie put enfin observer son visage. Aucun doute, il était vraiment beau. Bien plus que sur la photo, qui devait dater de quelques années, car sa coupe de cheveux semblait différente. A la place des longues boucles châtains qui cachaient son front, il avait adopté une coupe courte et bien dégagée qui mettait en valeur le bleu de ses yeux. Ces derniers paraissaient également différents. Au lieu des yeux bleu clair et rêveurs de la photo, elle constatait que l'homme avait un regard bleu perçant, qui luisait tandis qu'il finissait le contenu de son verre. Il ne paraissait pas avoir remarqué sa présence.
- Au mariage, dit‑il en levant son verre.
- Au mariage ? s'étrangla la blonde. Non, c'est bien trop vieux jeu. Je préfère trinquer au divorce.
- Le divorce est un véritable fléau pour la société, coupa-t‑il sur un ton sec. Pas question de boire à ça.
- Au sexe, alors. Trinquons au sexe !
Et elle fit tinter son verre contre le sien d'un geste entendu.
Jessie, qui assistait à cette scène du coin de l'œil, vit l'homme lever les yeux sur la femme avec une expression amusée.
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Un troublant malentendu
Romance— Et toi, Jessie. Qu’aimerais-tu trouver sous le sapin ? Oui, je sais qu’il reste encore deux semaines avant Noël, mais je préfère ne pas m’y prendre à la dernière minute. — Connais-tu un magasin qui vende des hommes ? demanda-t‑elle, un éclair de m...