Chapitre 1 : Max'ent

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Les Vertus de la Dissidence



Al'garan (Anganope, Vor'norenn, K'homor),

Aien, 18 du mois d'eren, 142III(an 142 de la 3ème Ère)[1]


Max'ent se faufilaen silence par la porte qu'un garde royal lui tenait ouverte. Aussi discret qu'une ombre, il s'engagea dans l'endroit, profitant de l'obscurité tranchée dufaisceau que crachait un puits de lumière au centre de la pièce. Sous ce fluxnivéen siégeait le plus grand trésor de Vor'norenn ; du moins, à ce qu'endisait la tête du Serpent.

La souveraine de la noire Al'garan se tenait à l'aplomb du rayon, illuminée d'incandescence fébrile. Sous l'attention fantôme de Max'ent, dont elle n'avait pas encore perçu la présence, Sa'atori Sklerijenn décryptait les écrits du Parchemin des Prophéties avec une ardeur et une ténacité toutes particulières. Cela faisait plusieurs jours consécutifs qu'elle venait consulter son document, lisant et relisant les mêmes lignes, analysant et réinterprétant chacune de ses illustrations, ruminant à voix basses ces propos incompréhensibles qui alimentaient la répulsion de Max'ent à son égard. Dans le silence de ses pensées, le jeune homme pouvait presque l'entendre scander, comme toujours lorsqu'elle lisait doute et réticence dans l'œil de ses conseillers, l'importance et la noblesse de sa tâche : celle que lui avaient léguée ses ancêtres, une mission cruciale qu'elle se devait d'accomplir pour le salut de son peuple et de ses terres. Le Parchemin était la serrure du dénouement et ainsi devait-elle en trouver la Clé.

La solution à l'énigme avait pourtant été énoncée des décennies plus tôt, par la folie d'une traîtresse à ses racines, le sang corrompu que Drésinor avait propulsé au sommet de sa société dégoûtante — cette femme qui avait traîné les siens dans les cendres et les larmes par amour de la dissidence vor'noroise. Max'ent adorait cette histoire, comme tout bon Vor'norois, d'ailleurs ; mais si l'appréciation du passé reposait la plupart du temps sur un fervent patriotisme, le jeune homme la cultivait plutôt de sa passion pour l'art de la trahison. Après tout, la félonne drésinoroise avait précipité son propre Monde dans les affres d'une guerre aujourd'hui centenaire. L'exploit restait difficile à égaler.

L'énigme avait été résolue depuis longtemps, pourtant Sa'atori s'acharnait toujours sur les pages de son manuscrit puant. À chaque occasion qui lui était donnée, elle le bavait de sa voix répugnante : les indications fournies par le Parchemin étaient précieuses, si précieuses qu'elle ne pouvait se permettre d'en mécomprendre la teneur, car de ses lignes dépendait l'impossible. Aussi s'échinait-elle à discerner chaque sens, chaque sous-entendu que pouvaient revêtir les précieux textes, dans l'espoir de viser au plus juste : où frapper ? Quand ? Quels pions utiliser ? Le nez presque collé au papier, c'était pour répondre à ces questions, encore, toujours, qu'elle étudiait avec adoration et fébrilité son précieux manuscrit, son bel ouvrage, magnifique, auquel elle tenait tant... Et qui détenait, aussi fabuleusement que ridiculement, le sort des trois Mondes, le sort d'Anganope elle-même dans ses encres ternies.

Pour Max'ent, la perspective était inconcevable.

Dans le dos de l'illuminée qui portait la couronne de K'homor, le jeune homme secoua la tête. Sa langue claqua avec dédain.

— Votre Souveraineté.

La voix glaciale de Max'ent hurla dans l'endroit. Cela faisait longtemps qu'il ne se retenait plus de montrer l'ennui que suscitait en lui le comportement de la Reine écarlate. Aux yeux de tous et surtout aux siens, la femme apparaissait comme une toxicomane en manque, inconsciente des réalités extérieures, car vautrée dans ses délires enfiévrés.

Anganope [Tome 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant