Chapitre 1

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Zaaphel

— Il ne s'en sort pas si mal, me fait remarquer Bélial.

Mouais. La moue dubitative que je lui renvoie le fait hoqueter de rire, et c'est de concert que nous posons un regard blasé sur Gériel, qui se prend quelques coups vifs de son adversaire, juste avant que ce dernier ne finisse par lui administrer une branlée phénoménale. Vite dépassé, le gars s'écroule sans même tenter de se défendre une seule fois, ce qui m'arrache un ricanement sonore.

— J'crois qu't'as perdu, me contenté-je de lui balancer.

Je ne sais pas si c'est mon sourire en coin, ou sa défaite, mais Bélial pousse un grognement sourd qui me fait carrément m'esclaffer.

— Putain ! grommelle-t-il. Mais comment tu fais pour gagner à chaque fois ? T'as une chance de cocu !

— Aucun de nous n'a de femelle, Bélial. Rien à voir avec la chance, je suis juste plus doué que toi, c'est tout. Je crois qu'au bout de la mille-six-cent-vingt-troisième défaite d'affilée, tu devrais admettre l'évidence. Tu es nul.

Je descends de la table défoncée sur laquelle j'étais assis, pour me relever de toute ma hauteur, et d'un air narquois, commence à ramasser tout ce que je viens de gagner auprès des démons qui avaient parié sur le mauvais cheval. Un sourire aux lèvres, tandis qu'ils me lancent un air mauvais, je récolte avec bonheur tout ce qu'ils avaient parié : fruits, plus ou moins frais, quelques légumineuses, une dizaine de noix et noisettes, un quignon de pain, qui me fait écarquiller les yeux, et pétiller les papilles. D'autant plus que le type qui me le cède dans un grognement sourd me lance des regards noirs. Je ne sais pas comment il se l'est procuré, mais une chose est certaine : il est furieux de devoir y renoncer.

— Joli butin, Zaaph', retentit une voix grave juste derrière moi.

Je stoppe net, reconnaissant avec une pointe de peur le propriétaire de ce timbre rauque. Autour de nous, les conversations se sont tues, et même le grand démon au morceau de pain se tasse sur lui-même quand il reconnait Lucifer en personne. Vu les yeux ébahis qu'il affiche, et sa façon de détaler sur le côté, je n'ai même pas besoin de me retourner pour savoir que le prince des lieux se trouve tout près de moi. Alors lentement, je me retourne.

— Tu parviendras à manger tout ça ? reprend-il d'un air narquois.

Sur son visage anguleux aux traits parfaits, un mince sourire tout sauf honnête m'accueille. Il m'observe quelques secondes, et sans me quitter des yeux, il plonge sa main dans mes victuailles pour en sortir la plus jolie pomme du lot. Rouge, à peine gâtée, elle roule sur ses doigts avant que ses dents ne se plantent dans sa chair juteuse. Eh merde, je rêvais de la bouffer, celle-ci !

Pourtant, je ne pipe mot, me contentant de le regarder croquer une seconde fois, tandis qu'il me nargue sans aucune pudeur. De ses cheveux noirs de jais à ses yeux sombres où l'on ne distingue même pas la pupille, tant ils sont foncés, de sa haute taille à son élégance racée, il exsude de cet individu une telle aura que n'importe lequel des démons de cette montagne, même deux fois plus large, y réfléchirait à deux fois avant de rétorquer quoi que ce soit.

Et ce n'est pas moi, assurément, qui vais commencer. J'ai beau connaitre Lucifer depuis notre séjour à l'académie, il n'en reste pas moins que je le crains, comme tous les autres habitants de l'enfer. Machiavélique, colérique, ingénieux, il représente depuis des millénaires le pire d'entre nous tous.

D'ailleurs, sa façon de me contourner soudain, et de marcher autour de moi ne me dit rien qui vaille. Il balance son trognon de pomme quelque part dans la cavité qui nous sert de salle de combat, et se concentre sur moi. Sa tête se penche, et ses yeux se plissent, alors qu'un sourire faux prend naissance sur ses lèvres fines.

L'Aube des maudits [sous contrat d'édition Cherry Publishing ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant