Bruno prend son plateau repas et s'installe sur une table ronde à côté des fenêtres. Il ne prend pas la peine d'enlever son manteau, il grignote ses pommes de terre, l'une après l'autre. Il prend son verre d'eau et commence à le boire.
- Je peux m'asseoir ?
Bruno sursaute, le verre à la main, de l'eau s'en échappe sur sa salopette. Le tissus se noircit.
- Pardon, désolé ! S'exclame Bruno. Oui, vas-y.
Le jeune homme prend les serviettes en papier posées sur son plateau et éponge ses vêtements. Gracien prend place à sa droite. Il pose son sac au pied de sa chaise et retire sa polaire.
- Désolé de t'avoir fait peur !
- C'est rien.
- La chance, t'as réussi à avoir un baigner ! Il y en avait plus quand je suis passé.
- Prend-le si tu veux, j'ai pas très faim de toute façon, dit Bruno en tendant son dessert à son camarade.
- Dieu doit m'aimer aujourd'hui ! Un beignet gratis, merci !
Bruno retourne à sa dégustation de pommes de terre. La fourchette à la bouche, il repère ta silhouette s'installant avec d'autres lycéens à la table d'en face. De là où tu es, Gracien ne peut pas de voir. Bruno éloigne lentement sa fourchette de la bouche lorsqu'il te voit lui sourire. Tu vois son regard s'étirer dans le temps, sa poitrine s'agiter. Ton sourire lui fait de l'effet. Il n'arrive déjà plus à suivre sa conversation. Tu le vois qui bafouille devant Gracien. Il t'attendrit à sa manière maladroite de reprendre ses esprits et de t'éviter des yeux.
- Bruno ?
- Quoi ?
- Tu ne m'a pas répondu, tu viens d'où ?
- De Bellegique, j'ai déménagé en France il y a....
Le jeune homme te revoit lui sauter à la gorge.
- Bruno ?
- Pardon, il y a presque 10 ans.
- La Belgique, énorme ! T'es Belge du coup ?
- J'ai les deux nationalités, Belge et française.
- T'as pas l'accent.
- Mes parents sont de Orléans.
- Ils sont revenus au bercail ! Rit Gracien. Tu sais, tes pommes de terre ne vont pas grossir si tu les mélanges comme ça dans ton assiette. T'es en manque d'appétit à ce point ?
Bruno lève la tête vers toi. Il te dévisage un bref instant, avant de répondre.
- Aujourd'hui oui. Tu les veux ?
- Oulah non ! Je ne peux plus rien avaler, et j'ai encore le beignet à manger.
Gracien enfourne son premier dessert dans la bouche, un flan au caramel. Il se lèche les doigts, la bouche encore pleine.
- Tu vas au cours de soutien toi aussi ? Il demande.
- Non, répond Bruno, C'est quand ?
- Cet après-midi, de seize heures à dix huit heures, pour les maths.
- Je m'en sors suffisamment en maths pour ne pas y aller, je vais plutôt rentrer chez moi.
- Tu habites où ?
- Pas loin du lycée, et toi ?
- Mes parents sont pas sur Bourges, alors je suis interne.
- J'aimerais pas l'être, déclare Bruno.
- C'est pas trop mal, Veïg a le don de mettre de l'ambiance. Même s'il est un peu lourd parfois !
- Il impose une certaine ambiance, c'est sûr, marmonne Bruno, pensif.
Si tu es proche de Gracien, alors il ne doit pas te citer en mal.
- Tu as l'air de bien le connaître ! Déjà ce matin...
- Tu te trompes, je ne le connais pas. Je ne veux pas le connaître.
- Pourquoi ?
- Je dois y aller ! S'empresse de répondre Bruno en se levant de sa chaise, plateau en mains.Il s'assure de ne pas croiser ton regard lorsqu'il quitte la cantine. Il pose la vaisselle sur un tapis roulant et s'en va. Il dévale les escaliers, court jusqu'aux toilettes individuels des bâtiments de prépa. Il s'enferme dans l'un d'eux et s'assied sur l'abattan en bois. Il plonge son visage entre les paumes de ses mains, il étouffe, son ventre se creuse. Il se met à avaler un grand bol d'air avant d'expirer un pleure qu'il essaye de faire taire. Mais il se sent suffoquer. Il est pris de vertige, il manque d'oxygène. Sa tête l'assome d'images de tes caresses, de tes coups, de ton sourire lorsque, en le regardant, ton excitation grandissante te donne une érection, avant même de le déshabiller. Bruno se frappe le dessus du crâne.
- Dégage ! Barre-toi de ma tête ! Il crache, la bouche remplie de salive.
Il pleure plus fort encore, ses yeux sont rougis par ses larmes. Il est terrifié à l'idée de sortir des toilettes. Il est terrifié à l'idée de rester dans la même salle que toi. Il a le foie à l'envers, le torse en fusion, les poumons aussi piquants que milles lames de rasoirs devant cohabiter. Bruno transpire, il déborde de sueurs froides qui longent sa colonne vertébrale. Il pose sa main gauche contre sa poitrine, prend de grandes inspirations. Il ferme les yeux et s'imagine partout sauf dans son lycée. Dans un champs, au milieu d'une culture fertile, au sommet d'une montagne, sur un lac gelé. Même les rue les plus repoussantes de France le font saliver. Après plusieurs minutes durant lesquelles ses larmes s'estompent et s'assèchent sur ses joues, il décide de se relever et de déverrouiller la porte des toilettes. Lorsqu'il sort enfin de son trou, un étudiant vient lui bousculer l'épaule.
- C'est le bâtiment prépa ici, tu sais pas lire ?
Bruno s'en va sans s'éterniser à répondre.
- Cons de Secondes ! peste l'autre dans son dos.

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Il s'appelait Bruno
General FictionTous les jours il porte une salopette : colorée, sombre, large ou encore près du corps, mais il porte une salopette. En été un tee-shirt, en hiver un pull en laine. Toutes les nuits il rêve de toi, de tes mains contre sa peau, de tes phalanges contr...