Save Our Soul-Parution le 30/09/2022 Chez CHERRY PUBLISHING

Chapitre 1

Le soleil brille et les oiseaux gazouillent : c'est ainsi que j'aimerais entamer chacune de mes journées, mais la réalité nous rattrape souvent bien trop vite.

La pluie tapait et les moteurs grondaient ; le pas pressé, je zieutai ma montre, mon cœur s'affolant à mesure que les aiguilles défilaient à vive allure, à deux doigts de frôler les huit heures. J'allais encore arriver en retard et Douglas Stout me taperait encore sur les doigts.

Redoublant d'efforts pour atteindre mon lieu de travail, je rabattis quelques mèches blondes rebelles derrière mes oreilles. Deux ou trois passants me bousculèrent sur le trottoir, ou bien était-ce simplement moi qui ne savais jamais où mettre les pieds ? « L'empotée », voilà comment mes collègues me nommaient. Un surnom peu flatteur certes, mais je me plaisais à me sentir intégrée dans l'équipe de cette manière.

Ma sacoche tenue fermement entre mes bras pour protéger mes dossiers, trempée jusqu'aux os, je franchis enfin la porte-tambour s'ouvrant sur le grand hall du Daily Dorsett. Fondé quarante ans plus tôt, il arborait fièrement le nom de son créateur : Hernan Dorsett et était réputé dans tout l'État de Géorgie.. Passer l'accueil me remplissait de joie à chaque fois, car travailler ici relevait d'un réel aboutissement dans ma carrière florissante de journaliste.

À huit heures tapantes, l'horloge astronomique dorée surplombant les ascenseurs retentit. Je pris une grande inspiration, parée pour cette nouvelle journée. J'avançai un premier pas, saluant mes collègues de loin, mais lorsque la poisse colle à la peau, difficile de s'en débarrasser. Ma semelle glissa sur le sol mouillé et, avec une élégance digne d'un cachalot, je me retrouvai étalée dans toute ma longueur sur le marbre gris et gelé, sous le regard surpris des employés.. Mes notes volèrent, jusqu'à s'échouer elles aussi dans les flaques d'eau sale laissées par les passants.

— L'empotée a encore frappé.

Une brève et discrète réflexion perçue dans mon dos. Sans y prêter attention, je remontai mes lunettes sur mon nez et, à quatre pattes, je ramassai mes feuilles, m'excusant auprès des nouveaux arrivants de leur boucher le passage.

Quel piètre jeudi! Je me hâtai à saisir toutes mes notes et articles de journaux découpés ; mes doigts se posaient sur la dernière feuille, mais une semelle m'empêcha de la ramasser.. Confuse, je relevai les yeux pour découvrir ce grand gaillard qui me surplombait, bras croisés contre son torse bombé, cheveux châtains plaqués en arrière, dévoilant un début de calvitie, un air dur et condescendant imprimé sur sa face : mon superviseur, Douglas Stout, en personne.

— Il est huit heures et deux minutes, je pensais vous convoquer pour un nouveau projet, mais vous n'étiez pas derrière votre bureau. Au lieu de cela, je vous retrouve dans le hall à genoux, en train d'amuser la galerie avec vos clowneries.

— Je...

— Suffit les excuses !

Je déglutis bruyamment. Avec dédain, le quarantenaire retira sa semelle poisseuse de ma fiche tachée de boue.

— Mademoiselle Adler, je vous veux dans mon bureau, immédiatement !

— B-bien, monsieur...

Stout ne prit pas le temps de me répondre, ses petites talonnettes claquèrent contre le sol. Par réflexe, je rehaussai une nouvelle fois mes verres de correction, fourrant toutes mes feuilles maladroitement dans ma sacoche. Les prunelles rivées sur mes pieds, incapable de supporter les coups d'œil indiscrets qui me dévisageaient. Me hâtant jusqu'aux ascenseurs, je réajustai mon chemisier blanc trempé, laissant entrevoir vaguement les broderies de mon sous-vêtement.

— Zut...

Remontant machinalement la fermeture Éclair de ma veste, je reculai dans la cage jusqu'à buter contre une présence. Embarrassée, je relevai les yeux vers l'individu qui me dominait d'une tête.