[IV] où le feu s'amuse comme un petit fou

50 8 9
                                    

Lorne fume toujours, s'est rendu compte Clélie un grand nombre de fois, tout comme l'auteur, qui regrette un peu de lui avoir donné ce trait de caractère, car ce n'est pas une bonne habitude de fumer comme notre monsieur croque-mort le fait ; en enchaînant cigarette sur pipe de nuage, sur encore une cigarette. Clélie resserre un peu la couverture autour d'elle en continuant de fixer l'énergumène en question, celui accoudé à la fenêtre grande ouverte, un long filament argenté de fumée s'échappant de sa bouche, les cheveux au vent.

La jeune fille échange un regard avec la citrouille confortablement installée à côté d'elle, près du feu qui s'amuse à crachoter des braises un peu partout sur le tapis déposé devant lui. Chaque flamme l'effleurant d'une caresse séductrice lui fait pousser un cri de mécontentement ; le feu est taquin, le tapis est puritain. Cela arrache toujours un sourire à Papi Malin, qui passe les plus froides nuits à les observer chahuter.

- Il doit regarder la Lune, murmure Clélie en se penchant vers sa citrouille. Quoi ? Tu penses pas... - moi je dis que si. Il passe son temps à dire des mauvaises choses sur elle, ça cache quelque chose - Je t'assure ! Peut-être qu'ils se sont connus quand ils étaient plus jeunes...

Papi Malin lui jette un regard que seuls trois personnes auraient compris - notre sorcière, l'auteur ici même, et un fantôme plus de ce monde-.

- Bien sûr que si ! Il a forcément dû être jeune à un moment quand même... s'exclame Clélie dans un semi-chuchotement.

Lorne semble se retourner pendant un instant, et la sorcière se crispe - parfois les gens peuvent le prendre mal quand on les traite de personnes âgées. Mais le croque-mort reste dans sa contemplation, sa cigarette toujours allumée se baladant entre ses doigts. Un point orange dans la nuit.

Si jamais une fois, pour quelque raison, vous vous retrouvez perdu.e dans une forêt, entouré.e par la noirceur de la nuit, et que la Lune vous semble un bien faible repère dans ce froid qui vous glace jusqu'au bout de vos chaussettes, marchez, du mieux que vous pouvez. Avec de grandes chances, vous finirez par apercevoir au loin une lumière vacillante et faible, aux teintes orangées, et qui forme un point pas plus grand qu'une piqûre de guêpe ; suivez là, vous tomberez très certainement sur un grand champignon, un homme aussi fin et grand qu'un fil de fer d'un mètre quatre-vingt-dix qui vous fixera de ses yeux de chat argentés, accoudé à la fenêtre en train de fumer. Toquez, et vous pourrez sûrement rencontrer une fille très sympathique et sa citrouille tout aussi sympathique, qui n'hésiteront pas à vous servir un grand bol de soupe (à n'importe quel goût, dépendant de vos préférences et des légumes du jardin). Faites tout de même attention à l'homme aux yeux de chats et au chapeau haut de forme, il a une fâcheuse tendance à vous demander si vous êtes assuré.e pour votre mort, et à prendre vos mesures en cachette (au cas où, pour le cercueil, parce qu'on peut pas savoir quand la mort frappe comme il le répète à chaque fois).

Clélie ne sait pas pourquoi, mais elle ressent, le long de sa nuque et de la racine de ses cheveux, un frisson de tristesse provenant de Lorne. Le dos tourné à la chaleur du foyer, le dos tourné à une quelconque flamme rougeoyante pouvant lui réchauffer le coeur.

Peut-être qu'il pleure, se met à penser l'adolescente. Elle adresse une question silencieuse à travers un regard de côté posé sur Papi Malin. La citrouille ne sait pas non plus.

L'auteur lui le sait, si les larmes du croque-mort dévalent ses joues blanches, si elles font une course le long du mur en pierre pour atterrir sous forme de gouttes voluptueuses sur la terre, s'accrochant aux herbes. Si sa cigarette a un gout salé quand il la glisse doucement contre ses lèvres pour aspirer la fumée brûlante des ses poumons. Ou si, juste, il admire le paysage, une note de nostalgie dans le regard, celle qu'on a toujours en regardant la nuit froide et les étoiles qui dansent dans le ciel comme si elles te narguaient. Chaque brin d'herbe qui frémit, les cigales au loin, le vent qui chante sa mélodie ; chaque note nocturne, qui laisse une trace lourde sur le coeur, qui font repenser à des choses futiles du passé ; les joies inconscientes, les amitiés enfouies, les promesses brisées. Les paroles des chansons qu'on dédiait à des gens oubliés qui résonnent dans la tête, qui s'insinuent dans l'être, et qui se laissent porter comme des vagues.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Apr 18, 2022 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

L'ILLUSION DES CITROUILLESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant