- Je me demandais, comment es-tu entré dans ma maison ? demande Clélie en mangeant une marguerite qui poussait rebellement sur le bord du chemin.
- Vous me tutoyez maintenant ?
- Oui, répond-elle, un pétale blanc essayant désespérement de s'échapper de sa bouche dévastatrice.
- D'accord, déclare l'homme. Et bien la porte me demandait d'entrer. Alors je suis entré. Et puis j'étais un vieil ami de Gaston, donc je me suis dis pourquoi pas.
Clélie et le croque-mort marchent en silence, Clélie arrêtant de manger les marguerites qu'elle trouve, parce que c'est écoeurant au bout d'un moment, et le croque-mort fait :
- L'auteur n'arrive plus à nous trouver de bonnes répliques, c'est ça ?
- Il avait l'air un peu fatigué ces derniers temps, alors ça se comprend.
L'auteur s'arrêta donc là et reprit la suite le lendemain, une fois qu'il fut bien reposé. Le temps s'avança d'un seul coup, fit un sprint comme lui seul sait le faire, et voilà que Clélie et le croque-mort sont déjà au potager de citrouilles.
- Laisse moi te les présenter ! fait la jeune fille en sautant entre les petites allées du carré orange.
- De quoi ? demande le croque-mort en s'asseillant sur un banc en bois qui apparait à sa demande.
- Et bien les citrouilles !
- D'accord d'accord...
L'homme sort une pipe tandis que Clélie le prend brusquement par le bras pour l'emmener devant une grosse citrouille, la plus grosse imaginable.
- Voici Papi Malin, le vétéran de nos citrouilles !
Le légume sourit doucement, de cette air fatigué et heureux qu'ont les vieux qui se sentent partir.
- Vous m'avez l'air bien en forme monsieur, ment le croque-mort en sortant son sourire commercial de sa poche et en le collant sur sa face.
La citrouille cligne des yeux lentement, pour le remercier.
- Et ça, c'est Hugo !
Clélie emmene son compagnon d'infortune devant une autre courge, plus petite et plus jeune, l'air félin et rusé.
- B'jour m'sieur ! s'exclame-t-elle avec un accent de campagne.
Le croque-mort hausse son chapeau en réponse, son sourire automatique toujours sur ses lèvres.
Et les présentations continuent, Clélie souriant de plus en plus pour chaque citrouille devant lesquelles ils passent. Le croque-mort, son sourire commercial bien collé à ses lèvres, baille parfois, et hausse les yeux à chaque "bonjour" qu'on lui envoie ; mais son coeur froid mort il y a des années se sent bizarre, abimé par la rouille, il a l'impression de repalpiter. Serait-ce parce que la lune s'est couché, et que le soleil a montré son nez, et les réchauffe d'une lumière nostalgique, ou parce qu'ils se trouvent seuls dans un champ de citrouilles, et que le regard ne rencontre que du brouillard vide dansant avec les pins, dans la chaleur de l'hiver, les routes vides, fantomatiques et sacrées, et le silence seulement percé par les présentations joyeuses de la petite Clélie ?
Le croque-mort baisse les yeux vers la jeune fille, qui continue de parler à ses citrouilles, ses cheveux rebelles dansant dans son regard blanc, et sa robe noire de poupée déchirée s'accrochant aux herbes.
- Tiens, la lune est partie, s'exclame Clélie, les poings sur les hanches.
- Je me demande bien où elle a pu aller encore... Sûrement en boite de nuit... marmonne le croque-mort, sa pipe à la bouche.
- On dit qu'elle porte une robe tissée par les araignées mortes le jour d'Halloween, une robe brillante et douce, aussi élégante que de la soie, et qu'elle rayonne de mille feux quand elle se mouve délicatement, et qu'elle danse jusqu'à l'épuisement, et que ses cheveux d'argent s'entremellent avec les étoiles...
- Tss foutaises ! grince le croque-mort en s'éloignant à grands pas, vers la route.
- Attends moi heh ! crie Clélie.
La jeune fille passe en courant devant Papi Malin qui la regarde de son regard tristement heureux, la faisant s'arrêter.
- Tu veux venir avec nous Papi ?
La citrouille cligne des yeux, et la jeune fille le rappetit afin de le prendre dans ses bras.
Le croque-mort se retourne avec agaçement, tapant du pied en marmonnant quelques malédictions. Une fois Clélie, la citrouille dans ses bras, lui faisant courber le dos, arrive à ses côtés, elle le fusille du regard.
- Tu crois que je ne t'ai pas entendu ?
- De quoi ? demande l'homme en haussant les sourcils innocement.
- Tu as maudit mes citrouilles.
- Oh ! Moi ?
- Oui, toi.
Papi Malin le fusille du regard, bien à l'aise dans les bras de la jeune fille.
- Bon, peut-être... Mais vous en avez mis du temps pour me rejoindre.
- On a tout notre temps.
- C'est faux, les jours et les nuits passent très vite ces derniers temps, peste le coque-mort. Mais dites moi, êtes-vous une sorcière ?
- Moi ?
- Oui, vous.
- Les sorcières, ça n'existe pas.
- Bien sur que si, assure le croque-mort en riant.
Clélie sourit.
- On ne peut pas définir les sorcières.
- Ce sont des gens qui utilisent des sorts, c'est bien simple.
- Alors toi aussi tu es une sorcière, réplique Clélie en souriant malicieusement.
- C'est sur que vu comme ça... Mais moi je disais ça plutôt parce que vous allez l'air assez sinistre.
Le croque-mort sourit intèrieurement tandis que la jeune fille lui réplique en le fusillant du regard qu'enterrer les morts était bien plus sinistre.
- Oui, mais moi je suis solaire, et vous, et vous, non... le taquine l'homme.
Clélie pince les lèvres comme à chaque fois qu'elle est énervée, et donne des coups de pieds à l'autre en vociférant quelques insultes que même le plus pervert des crapauds ne voudrait entendre.
Papi Malin sourit en regardant ses deux idiots se chamailler sous le soleil et le brouillard.
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L'ILLUSION DES CITROUILLES
Historia Cortaou comment Clélie a rencontré la lune - heliopsys :: 2022