Il faisait déjà très chaud en ce début d'après-midi de juin. Les rayons du soleil se reflétaient sur les dalles luisantes de la place de la Comédie, amplifiant la luminosité aveuglante de ce premier jour d'été. Aucun arbre pour s'abriter et tirer une parcelle d'ombre.
Sixte détestait le soleil. Mais plus encore, il détestait le monde et le bruit. Combien de personnes étaient venues pour la marche des fiertés ? Des centaines, des milliers... Le jeune homme se trouvait en enfer sur terre.
La musique était assourdissante, la place grouillante de monde, de personnes qui pour une fois laissaient libre cours à toutes leurs excentricités, exprimaient la liberté dont elles ne pouvaient pas faire preuve en temps normal. Et cette chaleur écrasante...
Lorsqu'il était venu à l'association pour demander à devenir volontaire, jamais il n'avait imaginé qu'il se retrouverait à distribuer des préservatifs en plein milieu d'une grande manifestation qui ressemblait plus à une immense fête qu'à une marche de revendications.
Debout derrière la table pliante surchargée de tracts, de brochures et de préservatifs de toutes les couleurs, Sixte tentait de trouver la posture adéquate. Il ne se trouvait pas assez cool, pas assez à l'aise, pas assez impliqué non plus. Il ne s'était pas engagé dans l'association HiELvP pour devenir distributeur de préservatifs.
Ses collègues, eux, semblaient parfaitement ravis d'être présents. L'été, la fête, la convivialité... les ingrédients essentiels pour une journée réussie. Le petit nouveau était certainement trop jeune pour apprécier les petits plaisirs de la vie.
Un couple d'hommes s'approcha du stand pour saluer des personnes qu'ils connaissaient déjà. Le blond leur tendit raidement un tract et deux préservatifs chacun.
- Bonne gay pride ! ajoua-t-il un sourire factice collé au visage.
Les deux autres prirent en riant ce que le plus jeune leur tendait.
- Vous les prenez de plus en plus jeune, dit le plus volubile des deux hommes au collègue de Sixte.
Christian, le président de l'association, passa un bras autour des épaules de l'adolescent. Ce dernier se raidit instinctivement sous le contact. Le bruit, le monde, la chaleur... il ne lui manquait plus qu'un contact physique rapproché pour lui faire perdre pied.
- Les jeunes s'engagent de plus en plus tôt, répondit fièrement Christian, car ils prennent conscience de l'importance de notre combat.
C'était la raison pour laquelle il avait tant insisté pour que Sixte vienne à cette manifestation. Habituellement le jeune se cantonnait à l'accueil dans les locaux de l'association. Il aidait les bénéficiaires dans leurs dossiers, leurs prises en charge. Parfois même il faisait des permanences à l'hôpital. Jamais il n'avait manifesté d'intérêt, contrairement aux autres volontaires, pour aller faire des actions de prévention dans les boîtes de nuit ou sur les plages...
Mais la gay pride était la grande couverture publicitaire de toutes les associations de lutte contre le VIH. Cette année-là, HiELvP se démarquait par la présence d'un très jeune volontaire. Le plus jeune de la fédération nationale. Peut-être cela aiderait-il à toucher les plus jeunes, mais de toute évidence, Sixte représentait à lui seul une splendide occasion de se faire de la publicité gratuite.
Le plus jeune secoua la tête pour tenter de chasser le malaise dans lequel il glissait lentement depuis une bonne heure sans que personne ne semble s'en apercevoir. Il aurait aimé fuir. Se mettre à l'ombre, loin de la cohue de la manifestation qui se préparait.
- Sisi garde la maison, l'interpella Christian. Je vais vite à la bagnole pour prendre les cartons de présos qu'il reste.
Le blond grogna, subitement de très mauvaise humeur. L'emploi de ce surnom ridicule le dérangeait au plus haut point. Il n'aimait déjà pas les surnoms, encore mois lorsque ça venait de personnes pas assez proches pour se permettre ce genre de familiarité... et surtout ce surnom-là. Sisi. Ça les faisait rire, mais lui manquait cruellement d'humour.