2 - Journée ordinaire - Lycée Joffre

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On était vendredi après-midi. Cela faisait près d'une semaine que Sixte ne pouvait s'empêcher de penser à l'étrange personnage qui l'avait abordé lors de la gay pride. Plusieurs fois dans la rue, il avait eu l'impression de revoir la silhouette de l'anonyme, ses courtes mèches brunes légèrement indisciplinées, ses grands yeux noirs rieurs. 

La vérité était que Sixte n'était pas du tout physionomiste. Il s'attachait à des détails et était quasiment incapable de reconnaître un visage, à moins de bien connaître la personne. Il  n'avait vu l'anonyme que quelques minutes. Il revoyait ce short en jean trop court pour être considéré comme une tenue décente, son débardeur noir... 

A chaque fois qu'il pensait rencontrer l'homme, son estomac se tordait. Symptôme qu'il ne comprenait pas. Alors ce matin-là, Sixte n'était pas tout à fait attentif au cours d'allemand. 

Il était assis dans le coin au fond, près de la fenêtre. Il avait pris l'habitude de s'installer au dernier rang. Il s'était trop souvent retrouvé avec de la colle dans ses longs cheveux blonds, passe-temps favori de ses camarades de classe. 

Sixte n'était pas un élève particulièrement attentif. Cela dépendait de la matière. Cela dépendait du professeur. Le plus souvent il préférait reproduire les bâtiments qu'il voyait par la fenêtre sur les pages blanches de ses cahiers. 

- Was meinst du, Sixtus ? lança le professeur mécontent de l'inattention de son élève. (*Qu'en pensez-vous Sixte?)

- Gar nichts... répondit aussitôt l'élève faisant rire ses camarades. (*Pas grand chose...)

L'homme s'avança mécontent vers la place où s'était installé l'élève. Rapidement, ce dernier glissa le flyer sur lequel était noté le fameux numéro de téléphone. 

- Monsieur Lopez, dit l'enseignant avec l'air satisfait de celui qui va prendre le petit malin la main dans le sac. Montrez-moi ce qui retient votre intérêt... 

Le professeur se pencha sur le cahier. L'élève avait été si absorbé par cet homme inconnu, qu'il n'avait pas encore commencé à dessiner. Le plus âgé tourna la feuille sans rien trouver de répréhensible dans le cahier de son élève. 

- Du bist ein Esel Herr Lopez ! s'énerva l'homme. (*Vous êtes un âne Monsieur Lopez !)

L'ensemble de la classe éclata de rire pendant que l'enseignant regagnait son bureau, l'air satisfait. 

Sixte s'aplatit sur son bureau tentant vainement de disparaître dans le meuble. Durant tout le cours, ses camarades ne cessèrent d'imiter le braiment de l'âne plus ou moins discrètement sous le regard approbateur du professeur d'allemand. L'élève regarda fixement devant lui, la main posée sous son cahier, mettant toute son énergie à faire le vide dans son esprit. 

Lorsque la sonnerie retentit, il rangea méticuleusement ses affaires dans son cartable. C'était chaque fois la même chose. Il n'avait jamais voulu prendre de sac à dos et ce n'était qu'un élément de plus dont les autres pouvaient se moquer sans gêne. 

- Prenez tout votre temps Sixte, le houspilla le professeur. 

L'élève lui jeta un regard indifférent avant de ranger sa chaise en alignement avec les motifs du sol. Après quoi il mit son cartable sur  ses épaules et dépassa l'enseignant en lui souhaitant une bonne fin de journée. Pas qu'il le pensait réellement, mais sa mère lui avait longuement expliqué l'importance de la politesse dans les relations humaines. 

C'était un élève agaçant pour certains et fascinant pour d'autres. Certains professeurs reconnaissaient ses particularités, d'autres n'y voyaient que les caprices d'un enfant trop gâté. 

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