Victor

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La jolie blonde regarda Victor avec des yeux grands ouverts. Il prit la parole :

- Bonjour.

- Bonjour, lui répondit elle. Comment allez vous ?

Elle s'interessait à lui ! Comment était-ce possible qu'une aristo puisse s'intéresser à lui ? Elle devait lui en être reconnaissante pour le jour de l'incendie.

- Moi ça va très bien, mais vous, ça va ?

Ça allait encore mieux depuis qu'il l'avait vue, pensa-t-il.

- Oui, dit-elle d'une voix grave, qui sous-entendait le contraire. Et votre main ?

Sa blessure lui faisait encore mal et celle au torse encore plus, mais il répondit :

- Ça va.

Soudain, les cris des policiers résonnèrent. Vite, il fallait faire vite.

- Vous ne voulez pas prendre l'air cinq minutes ? s'enquit-il tout en lui pressant l'épaule pour la faire avancer.

- Si.

Ils sortirent tous les deux du bâtiment et Victor aperçut d'autres flics qui arrivaient.

Il plaqua son interlocutrice - dont il ignorait encore le prénom - contre un mur et enfouit sa tête dans son cou. Il sentit son corps se raidir sous son geste. Que croyait-elle donc ?

- Qu'est-ce que vous faites ? demanda-t-elle, paniquée.

- Rien du tout, chuchota-t-il.

Victor avait eu quelques aventures, mais il devait avouer que cette fille lui faisait quelque chose. Elle avait un petit quelque chose en plus. Et il n'était pas contre rester un peu plus auprès d'elle mais les flics étaient passés, et il n'avait plus aucune raison.

- Vous fuyez la police, dit-elle, avec un ton mi-interrogateur, mi-déclaratif.

Victor vit la peur dans ses yeux. Elle devait avoir très peu d'expérience avec des gens du bas-monde, comme lui.

- Oh non ! Ah non non, ça c'est pas mon genre.

C'était tout à fait lui, pensa-t-il. Depuis qu'il était officiellement anarchiste, il fuyait constamment la police. Et il devait y aller, car ils ne tarderaient pas à le reconnaître. 

- Par contre, il faut absolument que j'y aille, vous venez ? 

Elle hésita et regarda vers sa gauche. D'un air désolé, elle lui dit :

- J'attends un ami, je ne peux pas. 

Qui était cet ami ? Victor n'avait pas envie d'être jaloux de quelqu'un qu'il ne connaissait pas, et il n'était pas d'ordinaire très jaloux. 

- Je comprends. 

Il aurait fait la même chose qu'elle. Victor n'était pas un modèle, il le savait, mais il était très loyal envers les gens qui comptaient pour lui. 

- À bientôt, j'espère. 

Elle le regarda avec un regard qui lui déchira le cœur : elle était complètement perdue, et effrayée. Cet incendie avait dû lui faire énormément de mal, et il voyait qu'elle était traumatisée. Qu'avait-elle donc vu pendant cette horreur ? 

Victor commença à courir, quand soudain il entendit la belle voix de la jolie blonde :

- Tous les matins, je vais faire du cheval au Bois de Boulogne ! À la Plaine des Hêtres !

- J'y serai !

Et il partit en courant, le sourire aux lèvres. Victor était particulièrement connu pour respecter ses promesses, et celle-ci, il se ferait un plaisir de la respecter. 

***

Victor marchait depuis déjà une heure et demie, au moins. Il était un plutôt bon sportif, et la marche ne lui faisait pas peur. Mais aujourd'hui, après les deux jours qui venaient de s'écouler, la distance entre l'hôpital Beau Jean et le Boucan lui paraissait énorme. C'est éreinté qu'il arriva devant le Boucan, le repère de tous les anarchistes, un petit bar-cabaret reculé dans une ruelle sombre. 

Il passa la porte et descendit les marches. L'endroit était plein, et Victor devait se frayer un chemin. Il cherchait un homme appelé Octave. Il arriva près d'une jeune fille, Jeanne, qui connaissait Victor depuis son enfance. Il lui demanda, en colère :

- Où est-ce qu'il est, Octave ? 

- À l'étage. Avec les autres. 

Victor aimait bien Jeanne, mais aujourd'hui, il voyait rouge. Il grimpa les marches rapidement, essaya deux pièces, puis se rendit compte que les autres anarchistes étaient sur la terrasse. 

Il repéra Octave et lui cria dessus :

- Alors, ça y est, t'es content ? Tu l'as faite sauter ta p*tain de bombe ? 

Octave n'avait aucune réaction, mais Victor décida d'aller au bout.

- C'était pas ça le plan qu'on avait dit ! On prend le fric et on se barre ! Qu'est-ce que tu comprends pas ? 

Il prit sa respiration et dit :

- On est pas des terroristes.

Victor commençait à comprendre que ce groupe d'anarchistes ne lui convenait pas : Victor rêvait d'un monde pacifique, eux, d'une guerre entre les aristos et les pauvres. 

- Il y a des centaines d'aristos qui viennent de crever comme des chiens, pour moi, il y a que ça qui compte...

Victor le coupa et le prit par le col de sa chemise :

- Tu vois, aucune de ces femmes ne méritait de mourir comme ça !

- J'en ai rien à foutre, moi ! Comme ces p*tains de bourges en ont rien à foutre de la gu*ule du peuple ! Tu vois cette bombe, c'est pas moi qui l'ai posée mais j'aurai bien aimé ! 

Janvier, le patron du Boucan, interrompit leur dispute :

- Victor, qu'est-ce qui t'as pris de te faire remarquer au Bazar ? 

Octave, encore remonté, le cassa :

- Monsieur a voulu jouer les héros de ces p*tains de bourgeoises ! 

Victor regarda fixement Octave dans les yeux, et partit, ne voulant pas entrer davantage dans son jeu. 

***

Même s'il était en manque de sommeil, Victor avait besoin de marcher pour réfléchir. Comment allait-il faire si la police croyait qu'il était responsable de l'incendie ? Mais pour l'instant, il était protégé par un article publié par Hugues Chaville, un journaliste de La Chouette, avec l'interview du chef cuisinier de son restaurant, Rodier. Ce dernier l'avait cité dans les hommes qui se sont comportés en héros :

"Un jeune homme, Victor Minville, a été cité plusieurs fois dans des témoignages comme héros. Plusieurs femmes ont déclaré avoir été sauvées, je cite, "par un beau jeune homme, cheveux châtains, et grands yeux bleus", ce qui correspond à la description donné par Rodier, le chef de Minville."

Victor été gêné : on faisait l'éloge de son courage et de sa beauté- qui n'existait pas, d'après lui- et maintenant, les regards seront braqués sur lui. 

Victor alla se coucher, dans le petit coin que Janvier lui avait laissé au Boucan. Et une phrase l'accompagnait encore tandis qu'il partait dans les bras de Morphée :

" Tous les matins, je vais faire du cheval au Bois de Boulogne ! À la Plaine des Hêtres !"

Victor savait enfin de quoi serait composé son lendemain. 

Alictor (Alice+Victor) Le Bazar De La CharitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant