Le chagrin d'un spectre

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      La balle traversa le corps de Valentin : il pensa d'abord mourir, mais en inspectant avec ses mains l'endroit où la balle l'avait touché, il ne sentit ni douleur, ni liquide chaud sur ses doigts, ni trou béant dans son ventre. La cartouche l'avait bien traversé mais sans rien lui faire. Avait-il halluciné ? Avant qu'il n'ait le temps de trouver une réponse, une voix grave et rauque résonna depuis le palier de la maison :

« Qu'est-ce que vous me voulez ?! cria un homme plutôt âgé, fusil à la main et presque transparent.

- Avant que vous nous tiriez dessus une nouvelle fois, savez-vous comment partir de cet endroit de dingue ?! s'exclama Ivan, cache derrière Valentin.

- Partir ? C'est impossible, rétorqua sèchement le bonhomme.

- Quoi ? Il doit sûrement y avoir un moyen, n'importe lequel ! »

À ces mots, le vieil homme au chapeau de cow-boy baissa son fusil et regarda attentivement le ciel : la pleine lune brillait toujours dans le ciel noir et aucun nuage ne venait perturber ça lumière. Il leur expliqua qu'aujourd'hui serait leur seul et unique chance d'espérer retourner à leur vie habituelle : avant le lever du soleil, le train redémarrera et repartira avec, ou sans eux. Pour avoir la possibilité de monter à bord, chaque passager aura besoin de l'autorisation d'un mort. Ceux qui n'arriveront pas à temps pour le départ seront coincés dans cet enfer pour toujours et leur âme, torturée pour l'éternité. Ils erreront, comme beaucoup d'autres avant eux, sans but, au fin fond de la forêt et hantés par des remords ou des souvenirs sans jamais pouvoir y mettre un terme. C'était une fin bien triste, si on peut appeler ça une « fin », mais il fallait tout faire pour ne pas en arriver là ! Avant qu'ils ne partent pour le cimetière, le vieil homme leur tendit à chacun un œillet blanc : un pour sa femme et un pour son fils. En les déposant sur leur tombe, leurs âmes seront invoquées et ils leur donneront leur autorisation. Étant lui-même mort, le cowboy ne pouvait quitter sa maison, ce qui l'empêchait de déposer ces fleurs sur les tombes de ceux qu'il aimait. De plus, ce vieux grincheux était bien trop égoïste pour donner son autorisation à qui que ce soit.
Ce fut avec chacun une fleur dans les mains, que les deux compagnons partirent en direction du cimetière. Sachant qu'ils allaient bientôt rentrer, ils pressèrent le pas et arrivèrent assez vite près des tombes : ils ne tardèrent pas à retrouver les noms que le vieil homme leur avais indiqué et déposèrent, comme convenu, une fleur sur chacune des deux tombes. Presque aussitôt, une lumière aveuglante apparut puis se changea pour parvenir à une silhouette humaine et enfin, deux personnes, une femme et un enfant, presque transparents, se matérialisèrent devant eux. D'abord stupéfaits, ils commencèrent pourtant la conversation en leur expliquant leur situation : que faisaient-ils ici ? qui les envoyait ? pourquoi les avoir invoqués ?

...

Après leur avoir décrit l'essentiel, ils leur demandèrent finalement leur autorisation : étant une bonne personne, la femme accepta et l'enfant suivi l'exemple de sa mère. Avant qu'ils ne repartent pour le train, elle leur demanda un service :

« Il reste encore du temps avant le lever du soleil, dit-elle, auriez-vous la gentillesse de porter un message à mon mari ?

- Bien sûr, répondit Valentin, nous vous devons bien ça, après tout. Quel est donc ce message ?

- Dites-lui que même si nous sommes séparés à jamais, nous l'aimerons éternellement. »

Les deux hommes lui promirent et se hâtèrent de retourner chez le cowboy. Lorsqu'ils arrivèrent, ils trouvèrent le fantôme assis dans une chaise à bascule, toujours sur le palier de sa maison. Il n'avait pas changé d'endroit, mais depuis leur dernière rencontre, il paraissait plus affaibli, la lumière qu'il dégageait s'estompait. Valentin lui transmis le message de sa famille : quand il entendit ça, l'homme parut soulagé d'un poids. Il sourit alors, pendant que son corps disparaissait petit à petit jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un médaillon à l'endroit où le bonhomme était assis quelques secondes auparavant. Lui et sa famille avait enfin trouvé le repos. Ivan conseilla à Valentin de conserver le médaillon comme un cadeau d'adieu mais aussi de remerciement. Une fois leur tâche accomplie, il se dépêchèrent de courir vers le train et réussirent à monter juste à temps. Les premiers rayons du soleil se montrèrent et le train se mit en marche, comme prévu. Le véhicule prit de la vitesse, trop de vitesse. Les deux hommes étaient obligés de se cramponner à leur siège pour ne pas finir éjecté contre la fenêtre. On aurait dit que le train était dans un constant virage : impossible de se tenir droit ou même de se redresser, quand tout à coup, le monde devint spirale. On ne distinguait plus les couleurs ou les formes. Ils avaient la tête qui tournait à toute vitesse et l'envie de vomir, mais il préférèrent fermer les yeux et attendre que ce cauchemar prenne fin pour de bon !

      Après les ténèbres, la lumière survint. Mais celle-ci fut tellement brusque, qu'elle obligea les yeux de Valentin à s'ouvrir pour constater d'où elle venait : c'était les lumières de la gare, il était arrivé à destination. En face de lui, il aperçut dans un siège, un homme un peu plus âgé que lui, dormir profondément. Il n'avait pas dû remarquer que leur voyage était terminé et, pendant que les portes du train s'ouvraient pour laisser descendre les voyageurs, Valentin réveilla doucement son voisin :

« Monsieur Ivan ! Vous devriez vous réveiller, nous sommes arrivés... »

En ouvrant les yeux, Ivan fut stupéfait : comment un parfait inconnu, qui ne faisait même pas partie du personnel, avait pu le réveiller en l'appelant par son prénom ? Avant de pouvoir dire quoi que ce soit, il se rendit compte que l'autre homme avait déjà disparu et qu'il était parti de son côté...
En marchant dans la gare, Valentin mis sa main dans sa poche quand il sentit un petit objet ovale et métallique entre ses doigts. Curieux, il le sortit et se rendit compte qu'il s'agissait d'un médaillon assez ancien : quand il l'ouvrit, il vit une photo en noir et blanc d'une famille de trois personnes qui lui semblait vaguement familière : un homme, une femme et leur enfant. Mais le plus perturbant pour Valentin fut que du côté gauche du médaillon était inscrit en lettres d'or :
« merci ».

FIN

Pour information : l'œillet blanc a une signification mortuaire, ce qui explique sa présence particulière dans cette histoire.

Mystère au maraisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant