Nuit Blanche

CHAPITRE III

Merde.

Dans la pénombre de son petit salon, Laink retenait son souffle. Merde. Il ne savait pas comment l'expliquer, ni pourquoi, mais il avait fait une connerie. Le jeune homme déglutit, se sentant soudainement pris d'une bouffée de chaleur étouffante, mais ne faisant aucun mouvement pour ouvrir la fenêtre. Restant vissé à son siège comme si quelque chose allait soudainement lui tomber dessus ou une équipe de tournage jaillir de sa cuisine en criant « PRANKED ! », il resta un instant immobile, les yeux fixés sur son écran. La déconnexion soudaine de Terracid semblait l'avoir réveillé d'un état de transe dans lequel il ne s'était pas rendu compte avoir plongé. D'une main légèrement tremblante, il se décida enfin à quitter lui aussi l'appel Discord, avant d'éloigner sa chaise à roulettes du bureau à la manière de quelqu'un qui s'apprêterait à se lever, mais n'en fit rien. Il resta les bras tendus en avant, poings agrippés contre le bois, complètement déboussolé, n'arrivant pas très bien à comprendre tout ce qui venait de se passer, et ne sachant pas s'il tenait vraiment à le savoir. Il ne savait pas très bien ce qui le surprenait le plus dans cette histoire. Cette soirée étrange où son ami semblait avide d'en savoir plus sur son rêve ? Ou le fait qu'il lui ai déballé tous les détails sans plus de négociations ? Complètement dépassé par les événements, Laink se passa une main sur le visage, avant de ramener une jambe contre son torse.

Beaucoup, beaucoup trop de questions se bousculaient dans sa tête et la panique montait en lui au fur et à mesure que l'adrénaline de la conversation redescendait. Pour quelqu'un qui n'avait jamais consommé de drogues, c'était possiblement la pire descente qu'il ait expérimenté dans sa vie. Sa main se leva et se figea au dessus du clavier, prêt à envoyer un message à Terracid, puis se ravisa. Il ne savait même pas quoi lui dire. Maintenant qu'il avait retrouvé son état normal, tout lui paraissait si irréel et... bizarre ? Et son interlocuteur dû en prendre conscience avant lui puisqu'il avait quitté abruptement leur appel.

Merde, se répéta Laink une fois de plus, en mâchouillant sa lèvre. Il avait fait flipper Terracid, il avait été bizarre. Ça y est, c'était arrivé, ça leur pendait au nez depuis un moment, et cette fois on y était, leur délire était parti trop loin. Au cours de leurs nombreuses années d'amitié ils avaient fait des tas de trucs débiles, déplacés, ambiguë, très gênant, ou juste carrément humiliant, mais cette fois c'était peut-être la pire. Enfin, était-ce la pire ? Comme pour aider, son cerveau passa en revue une petite compilation de leurs moments les moins glorieux, incluant la pipe en réalité virtuelle, le débat de « Est-ce que si je suis dans le plâtre tu me branles ? », la fois où ils étaient restés enlacés de longues minutes pendant qu'on faisait leur portrait, celle où Terra l'avait convaincu de pisser dans une bouteille pendant un live... La liste était très longue. Pourtant rien n'avait été... troublant comme aujourd'hui. Alors, qu'est-ce qui changeait ?

Le brun replia une deuxième jambe contre lui, se cachant le visage de ses mains avec une honte non dissimulée. Pour commencer, il n'arrivait pas à croire qu'il avait été aussi avenant. C'était comme s'il ne s'était pas reconnu lui-même. Des mots et des phrases lui revinrent sporadiquement en mémoire et il sentait la chaleur lui monter aux joues un peu plus à chaque obscénité. Certes il lui arrivait parfois de prendre les devants, mais cette fois était différente. Quelque chose en lui avait cliqué, d'une certaine manière, comme un interrupteur qui l'aurait fait complètement vrillé. Laink avait beau se creuser la cervelle, il ne comprenait pas comment il avait pu se laisser autant emporter, et encore moins pourquoi Terracid ne l'avait pas arrêté. Inconfortablement, il sentit sa poitrine se nouer. L'impression inexplicable que ce n'était que la partie visible de l'iceberg s'insinua en lui et ne voulait plus le quitter. Elle était d'abord apparue sous la forme d'un mauvais pressentiment quant à l'attitude de Terracid, et venait à l'instant de se changer en quelque chose de plus pervers, sur lequel il n'arrivait pas à mettre le doigt, la laissant donc planer comme une ombre dans un coin de son esprit, prête à surgir au moment même où les choses dégénéreraient. Parce que oui, il en avait la conviction, il pouvait le sentir, tout continuerait à partir en vrille à partir de maintenant.