Prologue

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Campés l'un devant l'autre, furieux, ils se foudroyaient du regard. Aucun des deux adultes ne prêtait attention aux cris étouffés de la plus grande des deux jumelles, âgées seulement de deux ans, reposant dans le berceau positionné au coin de la pièce. La seconde s'était assise et observait la scène d'un œil curieux, inconsciente de la gravité de la situation.

Balayant d'un geste fatigué l'intégralité de la salle, la femme poussa un profond soupir chargé d'amertume.

— Nous ne pouvons plus continuer ainsi.

L'homme hocha la tête en détournant le regard, une ombre dans les yeux.

— Je suis d'accord.

Ils restèrent quelques instants sans rien dire, le poids de la décision qu'ils devaient prendre pesant lourdement sur leurs épaules. La maîtresse des Karteide tapa sèchement dans ses mains, et presque aussitôt, un serviteur toqua à la porte, entra et s'inclina devant eux.

— Va chercher Dahar et Mivan, commanda l'homme d'une voix lasse.

Le serviteur s'inclina à nouveau et partit, alors qu'un silence pesant prenait place dans la pièce, seulement troublé par les gémissements de l'ainée des jumelles. L'homme pivota, tournant le dos à ses filles, et se dirigea vers la fenêtre près de laquelle il se posta, observant l'extérieur. La femme croisa les bras sans bouger du milieu de la pièce où elle était plantée, et pianota nerveusement des doigts sur son bras, le regard perdu dans le vide.

Après à peine quelques minutes, le valet toqua à nouveau, rentra et s'effaça devant les deux hommes qui avaient été appelés. Tous deux échangèrent un regard sombre, sans doute devinant par avance la raison de leur appel soudain.

— Vous êtez-vous enfin décidé ? Demanda d'un ton cynique le premier des deux nouveaux venus.

— Il était temps que vous agissiez, renchérit l'autre, votre indécision menait les Karteides à leur perte.

L'homme se redressa et inspira profondément avant de toiser le second d'un air de fureur contenue.

— Je ne te permet pas, Dahar, gronda-t-il.

Le dénommé Dahar haussa un sourcil et croisa les bras sans faire mine de s'excuser à son chef. Mivan s'avança jusqu'à se poster près de la femme et lui adressa un sourire de commisération.

— Qu'avez-vous décidé Fiada ? Demanda-t-il d'une voix douce.

La maîtresse des Karteides lui retourna un regard rempli d'amertume, avant de se tourner vers celui qu'elle avait aimé. C'est en le regardant droit dans les yeux qu'elle répondit.

— Lusaël et moi, nous prendrons chacun la charge d'une de nos filles, et prêterons serment de ne jamais revoir l'autre, assena-t-elle. Mivan, Dahar, j'aimerais que vous choisissiez pour nous laquelle de nos filles reviendra à chacun de nous.

Les deux lieutenants échangèrent un regard alarmé, avant de se tourner vers les jumelles. Parfait miroir l'une de l'autre, on ne pouvait les différencier. Mais si l'ainée poussait toujours des gémissements plaintifs en entortillant ses cheveux blonds autour de ses doigts, la cadette regardait la scène sans brocher, son œil droit d'un rouge flamboyant presque dissimulé par ses mèches décoiffées, son œil noir bleuté les regardant sans ciller.

— Et qu'adviendra-t-il des Karteides ? S'enquit Dahar d'une voix forte. Vos filles ne sont pas l'unique problème. Pensez donc aussi à tous ceux qui vous suivent.

— Chacun suivra celui envers lequel sa fidélité est la plus grande, intervint Lusaël, nous n'en forcerons aucun, ils seront libres de leur choix. Prévoyez un conseil, nous les en informerons dès ce soir.

Les lieutenants se concertèrent du regard quelques secondes avant de se diriger vers le berceau. Mivan se pencha pour soulever avec précaution l'ainée des jumelles, qui se tut soudain, alors que Dahar saisissait maladroitement la cadette. Il la tint un moment à bout de bras, avant de la confier à son père, alors que Mivan déposait sa soeur dans les bras de sa mère. Lusaël souleva la cadette et la regarda droit dans les yeux.

— Lyan, je saurais te protéger et te rendre forte.

Fiada caressa avec délicatesse les cheveux de sa fille et essuya ses larmes avec tendresse.

— Tu deviendras une magnifique jeune fille, Lira, souffla-t-elle en embrassant l'enfant sur le front.

Sur ces mots, Fiada tourna les talons, et sortit de la salle d'un pas décidé, sans un regard en arrière. Elle fut aussitôt suivie par Mivan, laissant Lusaël et Dahar seuls dans la pièce en compagnie de la plus jeune des jumelles. Après leur départ, un silence que nul n'osait rompre s'installa dans la pièce, chacun prenant conscience qu'il n'était plus possible de retourner en arrière.

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