Prologue

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Les étoiles elles-mêmes semblaient trembler, dans le ciel azuré, devant les puissantes rafales, qui fouettaient de leurs souffles les rochers aiguisés des montagnes qui bordaient l'ensemble du côté ouest de Pyrrhia.

Au coeur de la tempête, perchés sur un rocher, se tenaient deux dragons, vacillant sous la colère des cieux.
Le plus grand des deux dragons était de couleur noire violacé, aux écailles parsemées d'argent sous les ailes, comme des taches de peintures qui seraient tombées par hasard du pinceau d'un artiste maladroit.
Le plus petit des deux était en fait une dragonne.
Elle arborait des rugueuses écailles brunâtres, aux reflets mordorés ; sa tête émaciée et ces sourcils arqués lui donnaient un air sournois qu'elle ne cachait pas par sa posture impériale.

- "Étions nous vraiment dans obligés de nous exposer à cette ouragan, Nocturne ? J'ai milles salles dans mon royaume qui auraient pu convenir à votre requête : un lieu sûr pour parler en paix." protesta aigrement la guivre* acajou.
- "Pour ce que j'ai à vous narrer, mieux vaut prendre toutes les précotions nécessaires, votre Majesté." renchérit cavernesement le dit Nocturne.
*guivre : synonyme de dragon

La reine jetait des regards anxiogène dans les environs rocailleux du mont sur lequelle il prenait appuis.
Plus encore que le mâle, elle avait l'air d'avoir beaucoup de mal à ne pas se faire emporter par les bourrasques ; elle se retenait pourtant fermement, avec ses griffes d'acier plantées dans la roche.

- "Alors faite vite. Je ne veut pas me briser les os en tombant de cette falaise." quémanda d'un ton peu clément cette dernière.
- "Ne pas être suicidaire est une très bonne valeur pour une reine, vous la saviez ?" susurra le renfrogné dragon noir et argent. "Excusez moi, votre Majesté." se reprit il penaud, après avoir constaté à la vue de la mine hautaine de son interlocutrice que sa blague ne l'avait pas amusée. "J'ai eu une vision. Une vision qui ne vous concernait pas directement, mais comme vous êtes notre alliée j'ai jugé bon de vous prévenir.

Aussitôt, tout le corps du prénommé Nocturne se figea d'une raideur non naturelle, comme s'il n'en était plus maître. Ses yeux d'ordinaire argentés blanchiment à en devenir albe.
Le spectacle surnaturel qui se jouait devant la dragonne cuivre ne sembla pas l'impressionner, comme si elle y avait déjà assisté auparavant.
Le dragon noir piqueté ouvrit lentement sa gueule encerclée de canines, et se mit à réciter un monologue sépulcral :

- "Fils et Filles de deux rivaux
Entre lien du sang et lien du coeur
Cinq oeuf échangés si tôt
Seront t'il emblème de clans qui se meurs
Ou représentant de semblables nouveaux"

Après avoir énoncé sa méandreuse tirade, le prophète Nocturne reprit son apparence usuelle.
- "Une prophétie... Intéressant, en effet. Ne sais tu rien d'autre ?"
Si le dragon aux yeux d'argent fut troublé par la semi - réaction de la reine battue par la pluie, il ne le montra pas.
- "Non, on ne m'a montré que ça." riposta t'il acuitement.
- "Alors... À quoi cette prédiction va t'elle te servir ? asseina prétentieusement la dragonne mordorée , comme pour lui reprochait de l'avoir mené jusqu'ici.
- "Voyons, votre Majesté... Je pensais que cela serait évident ! Nous devons à tout pris faire en sorte que la prophétie se réalise !"
Malgré l'enthousiasme de la clameur du prophète, elle resta impassible.
- "Tu ne sais vraiment plus rien, tu dis ?" demanda t'elle distraitement.
- "Heu... Non, rien du tout. Cependant, il se peut que-" tenta d'argumenter le mâle noir.

Mais la femelle n'attendit pas la fin. D'un sifflement bref, elle sembla donnait un ordre clair.
Aussitôt, la montagne parut se transformer et devenir difforme, et il fallut plusieurs secondes au dragon noir argenté pour comprendre qu'une vingtaine d'Ailes de Boues étaient cachés ici depuis le début de leurs conversations.
Les dragons couleurs de vase s'approchèrent de lui d'un air menaçant.

- Si tu ne sais plus rien... Tu ne nous est plus utile, pas vrai ? lui sussura la dirigeante à son oreille.

Dans un mouvement d'ultime espoir, l'Aile de Nuit tenta de fuir par la voie aérienne, mais il fut rattrapé à l'aile par un Aile de Boue, lui causant une déchirure de son aile droite.
Ne pouvant plus voler, et encerclé de menace, le mâle noir violacé abandonna toute espoir de survie.
Et tandis que la reine des Ailes de Boues s'envolait déjà, une vingtaine d'assaillants lui sautèrent dessus et l'attaquèrent de toute part.

Trois mois plus tard :

- "Votre Majesté !" s'écria un soldat tout de bruns vêtu en déboulant dans la salle royale, haletant comme si il avait traversé tout le royaume le plus vite possible. "Un cas extrêmement rare vient de se produire, il faut que vous voyez ça ! Il y a, sur l'entrée de votre royaume, un œuf étranger !"
Les propos du garde ne semblèrent pas capter l'attention de la reine, pourtant, il était si exalté qu'il en avait oublié sa révérence.

- "Vous voulez parler d'un oeuf non identifié ? Ne vous affolez pas pour ça, j'ai souvent quelques imbéciles qui pensent que je vais élever leurs enfants en croyant qu'il est abandonné ; ils peuvent ensuite tirer tout les bénéfices de sa richesse en feignant de les avoir retrouver plus tard. Généralement, je les reconnaîent assez vite et je leurs fais couper la tête..." Lui expliqua t'elle distraitement, en triturant de ses griffes un gros joyaux accroché à son trône.

- Ho non, ce n'est pas ça ! C'est bien pire ! Votre Majesté... C'est un oeuf d'Aile de Pluie ! se récria le fidèle soldat, presque dans une complainte.

L'imposante dragonne brunâtre installée sur son trône se crispa si vite qu'elle en arracha le diamant diaphane avec lequel elle jouait depuis tout à l'heure.

Dans les oreilles de la reine Marécage, une phrase retentit :
"Cinq oeuf échangés si tôt"

- "Amenez la moi." dit elle simplement d'une voie stricte. "Il y a une lettre, un message avec elle ?"
- "Oui, juste une phrase. Il y a marqué : elle s'appelle Pluvieuse, prenez soin d'elle."

I. Les dragonnets de la paixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant