Chapitre 30

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    Sombre et lumière, engloutis dans les ténèbres, ils se donnaient l'un à l'autre. Elle, corps d'acier et d'artifices, lui, être de songe et de matière, ils étaient pareils, deux chimères nées du rêve et de l'imaginaire. Leurs lèvres pressées les unes contre les autres, il lui semblait qu'ils s'échangeaient bien plus que des mots ou des sensations. Dans sa poitrine, cet organe où les hommes pensaient que siégeait l'âme, se brisait, se morcelait, révélait son secret. Les yeux grands ouverts, il la contemplait. Les seins hauts perchés, le dos cambré, sa tête penchée en arrière, ses muscles, merveilles d'artificiel, saillaient, mettant en valeur sa plastique inhumaine. De cet index, qu'il avait posé sur sa bouche, il en épousait à présent les formes et les sens.

    Avait-elle jamais eu de rapports charnels ? Ou n'avaient-ils jamais eu lieu que par le truchement de ces prises qui lui hérissaient la nuque ?

    De cette parcelle qu'il lui restait, il lui offrait.

    Le saurait-elle ? Le devinerait-elle ?

    Il l'ignorait et s'en moquait, car il savait que cette nuit les bouleverserait et, souhaitait-il, lui octroierait ce souffle qui lui manquerait lorsqu'elle l'armerait et qu'il lui faudrait appuyer sur la gâchette. Elle regarderait filer la balle, véloce, invisible derrière le son qui ne s'en viendrait qu'ensuite.

    Fermerait-elle alors les yeux ou les tournerait-elle vers le ciel en signe d'adieux ?

    Leurs mains jointes, ils roulèrent, tandis qu'il donnait à ses ailes leur dernier élan de liberté. Couvrant son corps, désormais de femme de chair et de sang, non plus d'acier et de plastine, il sentait qu'il pouvait partager avec elle ce secret qui, depuis si longtemps, le rongeait.

    L'accepterait-elle ? L'enfouirait-elle ? Le rejetterait-elle ?

    Dans son regard, désormais habité par une lueur nouvelle, il y lisait la sérénité et une joie retrouvée. Cela ne durerait pas, seulement le temps de leur étreinte, mais ce serait son seul et unique présent. Non pas une chose que l'on donnerait en signe d'engagement, mais un don, une part sans retour, un fragment de lui-même qu'il lui consacrait.

    — Emmène-moi, semblait-elle lui murmurer.

    De ses lèvres entrouvertes, s'échappait le souffle doux et chaud d'une respiration humaine. La main dans la sienne, il retenait le déferlement de joie qui monte en lui.

    — Pourquoi ? lui susurra-t-elle soudain, tandis qu'elle effleurait, du bout de ses doigts, son visage lunaire.

    Des larmes perlèrent au coin de ses yeux, cependant que d'une ultime étreinte, elle partageait, avec lui, ce bonheur éphémère.

    — Pourquoi ? répéta-t-il d'une voix atone et mécanique.

    Lovée contre lui, sa tête posée sur son épaule, elle avait tendu son bras et observait la magie qui refluait de sa chair. Semblable à une myriade de petites étoiles, sa peau scintillait, illuminée par les minuscules étincelles qui remontaient depuis ses extrémités, son corps en entier. La figure penchée, il déposa un baiser sur sa chevelure, éprouvant une dernière fois l'étrange sensation qui l'avait saisie. Enveloppés dans un cocon de ténèbres, la magie s'élevait et tournoyait au-dessus de leurs têtes, recréant le temps d'un instant les nuées de la Voie Lactée. De l'index, elle en effleurait les contours, cependant que les billes argentées se dispersaient, comme autant de destinées.

    — Merci, souffla-t-elle entre deux élans. Merci de m'avoir rendu mon humanité, même si, comme la bonne fée, le charme se rompt à minuit.

    Alanguie, elle ferma les yeux, les bras étendus sur son corps ; apaisée, de son palpitant émergeait une fleur d'hiver. Avec délicatesse, il la saisit entre ses doigts et l'huma ; à sa place, une tache figurait sa silhouette au-dessus de son sein senestre, qu'il embrassa tendrement. Sous ses lèvres, il sentait la chaleur, la douceur, les frémissements de cœur qui se froissaient à mesure que la magie disparaissait.

    Comme il se relevait, il lui tendit ce souvenir fugace d'une nuit où elle avait brisé les barreaux de sa prison dorée, mais elle n'osa s'en saisir de peur de la flétrir. Dans un sourire, il l'avait alors effleuré et elle s'était métamorphosée en une nuée qu'il avait capturée. Enfermé au creux de ses paumes, il avait soudain refermé ses mains, cependant qu'elle avait poussé un cri de surprise, émaillé de colère. La paume rabattue, il caressa de sa dextre son visage empreint de chagrin. Au creux de ce repli de chair, une flamme de cristal et de ténèbres fleurissait, grandissait, irradiait. Figée, il la glissa entre ses doigts, devenus tout à coup maladroits, puis détacha le pendentif qu'il portait autour de son cou. Maintenant posée sur sa poitrine, la fleur cristalline luisait dans l'obscurité, illuminant sa figure d'une lueur crépusculaire ; des couleurs qu'elle n'avait jamais entraperçues ailleurs que dans ses rêves. Son poing refermé dessus, s'en échappaient les raies d'un arc d'orange et de feu, les lumières d'un incendie lointain, les prémisses d'un lendemain qui renaîtrait des cendres d'un passé annihilé, la promesse d'une existence qui ne se réaliserait jamais.

    Les mains recroquevillées sur sa poitrine, ses larmes s'échappaient de ses yeux, derniers vestiges préservés de son éphémère humanité. Recueillies au creux de ses paumes, il les métamorphosait en autant de papillons lunaires qui aussitôt s'envolaient, puis se dissipaient. Bientôt, il n'y en eut plus et les étoiles éphémères s'éteignirent dans le ciel.

    Cependant, il était un dernier présent qu'il était en mesure de lui offrir, à elle qui n'avait connu que l'artificialité d'un sommeil sans rêves. Étendu, un bras autour de ses épaules, il lui murmura quelques mots et, dans ses yeux emplis de stupeur, il versa dessus un peu de ce sable emprunté au marchand du même nom. Un instant, ses paupières papillonnèrent puis un sourire sincère se dessina sur ses lèvres, elle s'assoupissait.

L'IncendieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant