- Où vas-tu ?
Shay s'arrêta, la tête rentrée dans les épaules, et maugréa un maigre juron entre ses dents. Renonçant à l'idée de sortir sur la pointe des pieds, elle enfila son manteau et fit volte-face pour observer Céro. Celui-ci lui adressait un regard accusateur.
Le lendemain de leur sortie au parc, le jour de la Fête des Morts, ils s'étaient levés tous les deux tard. Céro avait bu son sang jusqu'au milieu de la nuit, mais elle s'était réveillée sans lui à ses côtés, et de nouveau, elle avait rêvé de lui, marchant dans ce même parc sous une pluie de feuilles brunes et dorées, aux côtés d'une magnifique femme vêtue d'une robe noire dont la traine était en dentelle de même couleur. Elle ne pouvait voir son visage, ils lui tournaient tout les deux le dos et seul la tête de Céro tournait de temps à autre en direction de la femme, et elle revoyait cette lueur brûlante dans son regard et ce demi-sourire si rare. La femme était grande et élancée, mais elle ne distinguait rien d'autre qu'une peau pâle recouvrant ses mains ainsi que de longs cheveux noirs, dissimulés sous sa traine de dentelle. Elle était pieds nus, et n'émettait aucun son en marchant sur les feuilles.
Quant à Shay, elle, elle était assise sur le muret en pierre du pont, et prisonnière de chaines invisibles. Dans son rêve elle ne pouvait ni bouger, ni se lever, ni même détourner son regard. Elle était condamnée à regarder cette scène douloureuse jusqu'à ce que le sommeil vienne enfin la délivrer. En se réveillant, elle eut la pensée suivante : préférait-elle ce genre de rêves aux cauchemars sanglants qu'elle faisait autrefois ? Etrangement, la réponse n'était pas si évidente que ce qu'elle aurait dû être.
- Alors ?
Shay cligna des yeux, revenant à elle. Céro ne portait rien d'autre qu'un jean et une chemise claire, comme si son sang froid de vampire l'immunisait contre l'air glacial du dehors. Il avait deux tasses fumantes à la main, l'air encore endormi, mais davantage en forme que la veille et reposé : les cernes qui creusaient des poches sous ses yeux lorsqu'il avait soif, avaient disparus.
Ils n'avaient pas encore eu le temps d'enquêter sur cet étrange meurtre du centaure, mais Shay était contente d'avoir pu lui changer un peu les idées en attendant de trouver Sailor pour en parler avec elle. Celle-ci était malheureusement partie dès la veille, dans la matinée pour rejoindre sa mère. Si son amie était assez discrète sur sa vie personnelle, Shay savait au moins qu'elle était très proche de sa mère et qu'elle saisissait chaque occasion qui se présentait à elle, pour se rendre aux côtés de sa mère souffrante, pour prendre soins d'elle. De temps en temps, lorsque Sailor ressentait le besoin de se confier, elle ne parlait quasiment que de sa mère. Shay n'avait jamais bien compris, et n'avait osé poser de questions – de quoi elle souffrait – mais elle savait que Sailor prenait soin d'elle, et l'aimait plus que tout au monde. Elle disait souvent qu'elle lui devait tout, et qu'elle prendrait chaque occasion qui se présenterait à elle pour l'en remercier.
Shay se souvenait qu'une fois, Sailor avait eu un échange houleux avec l'un des instructeurs, qui lui avait refusé un congé sur son temps de garde à l'Armurerie, pour se rendre auprès de sa mère. Elle avait longuement plaidé sa cause sans que le soldat supérieur ne cède, et Shay l'avait découverte dans l'un des petits salons des galeries souterraines de l'Armurerie. Dès qu'elle avait poussé la porte, Sailor s'était levée et lui avait tourné le dos pour cacher ses larmes. Shay avait respecté son intimité, refusant de la forcer à se confier, si elle n'était pas prête. Néanmoins, Sailor était son amie et elle ne souhaitait pas tourner les talons pour s'en aller. Alors, elle s'était contentée de refermer la porte et de s'y adosser en attendant que son amie se retourne. Sailor avait essuyé ses joues et avait fini par lui avouer ce qui s'était passé.
En y repensant, Shay se souvenait d'une phrase très étrange que son amie lui avait dit, cette fois là. Elle avait dit quelque chose du genre : « Il faut que je sois à ses côtés. Elle a besoin de moi. Si elle est comme ça... C'est de ma faute ! Je lui dois au moins ça. »
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Field Of Roses - Tome 1 "Les Secrets de l'Académie Stone"
Fantasía« Tu vas te réveiller. Bientôt. Tu seras tirée de ton éternel sommeil de glace, et tu retrouveras toute ta force, toute ta grandeur d'autrefois. Il faudra un peu de temps avant que tu sois capable d'accomplir ce pourquoi tu es revenue. Il te faudra...