Chapitre 2

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Le lendemain, tu t'es levé en silence alors que le sommeil m'avait enfin rattrapé. Tu es parti sans rien me dire, sans un mot. Je me suis réveillé alors qu'il faisait déjà jour depuis longtemps. Je ne savais qu'en penser. J'ai repoussé une impression de trahison: je ne savais pas où tu étais allé, ni ce que tu pensais de tout ce qui s'était passé. Comme si tu reniais cette nuit. Je n'avais pourtant pas l'impression d'avoir commis d'erreur. J'avais voulu cette nuit et ne le regrettais pas... hormis ton absence et ton silence les jours qui suivirent.  Je n'osais t'appeler ou te voir de peur que tu me repousses, ou pire: que tu aies rayé de tes souvenirs ces quelques heures. Au matin, j'ai dû mentir pour expliquer ton départ si soudain. J'ai prétexté la venue d'une tante ou je ne sais quoi d'autre; la peur au ventre. Je ne sais pas ce qu'ils ont cru ou pensé. Peu m'importait au fond; malgré tout, j'étais heureux! Je ne m'étais pas encore effondré sous le doute.

Le silence peut être la plus cruelle des tortures de l'âme: il conduit à l'incertitude qui se mue en doute et en regrets. Je ne voulais pas regretter cette nuit, je ne voulais pas penser et j'ai combattu ces sentiments en m'astreignant à des tâches ennuyeuses qui ne me permettaient pas de réfléchir. Je ne sais pas comment j'ai pu cacher ce qui m'étreignait le cœur durant ces jours de purgatoire où ton absence m'avait jeté. Je ne pensais pourtant qu'à toi, qu'à ton corps. Oui, l'appel des sens y était aussi pour quelque chose mais pas seulement. Certes, je désirais ton corps mais un sentiment profond de vide s'était d'office installé : je n'avais rien pour le combler que les souvenirs de cette nuit. Je me plais à croire que toutes les années te précédant étaient dédiées à t'attendre. Que mon corps et mon cœur aient développé un intense phénomène d'addiction  dès ce premier baiser. Ces années d'attente  - sans savoir ce que j'attendais- furent le prélude à notre histoire. Pourtant, t'attendre les jours suivants fût un supplice car je ne savais que penser. L'ignorance est un ver qui mine rapidement la poutre dans laquelle il se loge. 

Quelque part, j'enviais ton trouble car pour moi, tout ce qui s'était passé entre nous était le résultat d'années de préparation. Tout cela devait arriver, l'aboutissement d'une évidence. Nos réactions par la suite détermineraient nos avenirs, en commun ou non. Pour toi, tout était différent car ce fût une découverte presque brutale. Une découverte qui avait démoli tout ce que tu avais admis pour vrai. Tu me l'as dit plus tard. Malgré ton acceptation, ton consentement et ta participation active cette nuit-là, le lendemain fût assombri par un refus catégorique. Tes certitudes avaient été démontées et tu te retrouvais devant le fait accompli auquel tu n'étais pas étranger. La bien-pensance avait perdu cette nuit-là mais elle avait triomphé à ton réveil. J'aurais aimé t'accompagner dans ce dédale confus de sentiments, de désirs et de devoirs. Tu avais souhaité et choisi la solitude. Je ne pouvais qu'accepter ton choix. Ce parcours était le tien.

Je ne t'envie pas les moments de doute car je sais déjà qu'ils sont pénibles et destructeurs. Ce que j'ai envié, c'est cette implacable et si douce certitude qui s'est lentement imposée à toi. Le cheminement chaotique que tu as suivi et dont j'étais peut-être l'objet et le fil conducteur ne pouvait aboutir qu'à une conclusion. Tu n'as pas pesé le pour et le contre si jamais on puisse considérer qu'il y ait un pour et un contre! Tu as seulement laissé les choses se faire d'elles même. Je sais que tu n'as pas vu cette nuit comme une évidence. L'accepter te fût peut-être une délivrance? Pour moi, ce fût une confirmation. Cette évidence a toujours fait partie de moi. Elle fût l'un des éléments qui m'ont construits. C'est sans doute pour ces raisons que tu es parti. Je me suis découvert ou plutôt confirmé lors de cette nuit avec toi et pour toi. Tu t'es découvert les jours suivants, sans moi. Ton cheminement a été plus difficile de ton propre aveux car il impliquait que ta vision de toi-même, de ta sexualité subisse un rééquilibrage. Jusqu'à présent, tu pensais comme on t'avait appris à le faire, avec une morale standard et souvent étriquée. On ne se posait pas de question dans ta famille. Ce qui ne les touchait pas ne les intéressait pas. J'ajouterais, méchant, que peu de choses les touchaient. Pour eux, il y avait dans l'ordre: la vie quotidienne composée de jours de travail et de jours sans. Les premiers étaient un long rituel, les seconds un autre long rituel émaillé de matches de football à la télévision ou au stade municipal. Le reste du monde n'était existant que s'il avait une influence sur ce quotidien depuis longtemps dénué de joies et d'espérance.

Soleil et BrouillardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant