Chapitre 1

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Un abîme de quelques centimètres nous sépare. Un abîme de draps et de plumes. Je n'ose respirer et contemple ton sourire, ton visage et les ombres de la nuit qui y glissent lentement. Tu ne dors pas. Tu me regardes. Les secondes sont une éternité que nous nous apprêtons à franchir d'un baiser. Je sais et tu sais qu'il n'y aura pas de retour en arrière possible: nous allons faire mourir notre enfance.

Rien ne bouge dans la chambre et la nuit est prise dans les tours de la ville. Je ne sais pas ce qui nous attend mais je me noie dans tes yeux sans pouvoir m'échapper: ton silence me retient. Je crois deviner tes pensées alors que tu lis mes désirs; je ne peux rien te dissimiler. Je crois que le temps s'est arrêté. J'ai très envie de briser cet instant mais je me retiens car je sais qu'il est unique et qu'il ne se représentera jamais.  Le faire durer... plus longtemps que l'éternité, plus longtemps que le temps qui nous a piégé. Cet instant a été celui où nous avons fait un choix. Le moment où nous sommes entrés dans le monde et qui a fait de nous ce que nous sommes. Ces quelques instants ont vu les derniers lambeaux de notre enfance se déchirer.

Enfin, je me décide. Tu ne bouges pas lorsque je m'approche, lentement, comme poussé par un vent imaginaire. Je ne sais pas si tu peux entendre les battements de mon cœur mais j'ai l'impression que derrière ton calme apparent, le tien s'emballe et vient résonner dans tes yeux. Autour de nous, c'est le silence: la nuit retient son souffle et la ville attend. Quelques rais de lumière des  réverbères et des néons publicitaires viennent s'échouer sur les murs de ma chambre.

Au dernier moment, je m'arrête. Je sens ton haleine sur mon visage, une caresse si douce que mes mains deviennent moites et que ma respiration s'accélère. Je ne sais pas si je vais continuer jusqu'à ce que nos lèvres se touchent: je m'attends à ce que tu me repousse en silence mais tes yeux ne me quittent pas et un imperceptible sourire éclaire ton visage.

Encore quelques millimètres et tout ce qui nous entoure disparaîtra. Nos lèvres se frôlent presque et nos respirations s'emmêlent. Enfin, lorsque mes lèvres caressent pour la première fois les tiennes, un océan de douceur me submerge et mon cœur éclate! 

Silence.

Tu es figé et tu gardes les yeux ouverts.

Perdu, je me retire de la chaleur qui m'étreint d'abord avec douceur puis avec violence...

Les minutes d'éternité se sont fracassées sur ta bouche inerte. Tes lèvres. Si chaudes. Si douces. Un dernier regard sur ton visage. Le mien reflète l'incompréhension, le doute et l'espoir, la honte? Je me retourne vivement et je garde les yeux ouverts pour éviter de pleurer. Au loin, passe un train. Me serai-je trompé?

Les secondes qui s'amassent s'ingénient à construire une muraille entre nous en me soufflant sur le cœur des sentiments de honte et de culpabilité. Pourquoi? Je ne sais pas. Mes yeux brûlent des larmes que j'essaie de retenir. Mon cœur bat de façon désordonnée. Le silence, ton silence achève de détruire tous mes remparts. Mes larmes viennent s'écraser sur l'oreiller. Je te sens bouger à mes côtés mais je ne veux pas savoir ce que tu vas faire. Rentrer chez toi? Sans un mot? Si tu t'en vas, je préfère que tu le fasses en silence: tes paroles quelles qu'elles puissent être attiseraient trop ma honte d'avoir cru cela possible. Mes yeux s'effondrent. 

Cependant, au fond de moi, je ais que je ne me suis pas trompé. Mon visage me brûle et je sens encore la douceur de tes lèvres sur les miennes: comment l'oublier? Je pleure en silence, stupide, lorsque ta main vient se poser sur mon épaule. Je ne veux pas y prêter attention. Je m'attends à des excuses gênées. Peut-être que ce n'est pas ce que tu voulais, que nous nous sommes fourvoyés?  Ta main est une brûlure. Je ne sais que penser. 

Soleil et BrouillardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant