Chapitre 6

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Dès ton retour j'avais remarqué des changements. Tu étais plus distant et tu m'évitais. Nous ne fîmes même pas l'amour les premiers jours. Je n'ai rien dit - en cela, je ressemble à ma mère- pensant que tôt ou tard tu m'expliquerais.

Rosita, à qui on ne pouvait rien cacher, vît elle aussi les changements dans nos rapports et ton comportement fuyant. Elle est venu me trouver pour me demander si tout aller bien. Je n'ai pas su lui répondre. Je croyais que c'était ma faute. J'avais pourtant beau chercher ce que j'avais pu faire de mal pour mériter cet éloignement, je ne trouvais rien. Cela m'a fait replonger des années en arrière, lors de notre première fois. Ta fuite,  ton absence et l'attente interminable truffée de doutes. J'ai revécu cela sans comprendre. J'ai fait de mon mieux pour cacher mes peurs et mes doutes: j'essayais de t'entourer du mieux que je le pouvais. Je t'observais à la dérobée, écoutais tes silences et et essayais de comprendre en vain!

Un jour, je suis rentré plus tôt que d'habitude. Tu étais là, dans le salon et tu pleurais. Tu pleurais pour la première fois devant moi. Sans honte, sans retenue. Je t'ai pris dans mes bras pour te consoler mais tu ne m'as pas laissé faire en disant qu'il fallait qu'on parle. Ca ne présageait rien de bon. Cela ne te ressemblait pas.  J'étais totalement désemparé, rempli d'idées noires et dans l'attente de tes explications. Je me suis installé face à toi, attendant un verdict de notre histoire.

Après un long silence, tu as commencé à parler de ton voyage aux Etats-Unis, de ce médecin américain avec qui tu avais une liaison, des maux de tête qui t'empêchaient de vivre depuis plusieurs mois, du diagnostic de tes collègues, de nous, de notre vie, de ta honte de cette trahison et enfin, du résultat du test qui s'est révélé positif. Je suis mort à chacune de tes paroles. Un coup de poignard en suivait un autre et j'avais du mal à comprendre. Pourquoi? Tu évitais de me regarder et je voyais mon monde s'effondrer ponctué par ta voix. Quand tu as fini, je suis resté silencieux. Pendant très longtemps ou quelques minutes, je ne sais plus, il n'y eut que ce silence. J'avais tes mots qui me détruisaient morceau par morceau. Je ne voyais plus malgré mon regard fixe, pleurant sans m'en apercevoir. Je suis parvenu à te demander si tu m'aimais encore parce qu'une seule certitude avait pris racine dans mon cœur et mon esprit: malgré toutes ces trahisons, ces mensonges et ta maladie, je ne pouvais cesser de t'aimer.  C'était comme une évidence qui balayait tous les obstacles, faisait place nette de tout. Rien n'avait d'importance que cette certitude , cette vérité absolue: je t'aimais quoique tu fasses, malgré toi et rien ne saurait contredire la profondeur de sentiment. Ses racines allaient au plus profond de mon être. Elles étaient moi. Je ne pouvais te dire tout cela. C'était trop gros, trop fort pour être dit. Tu as dû te méprendre sur mon silence. 

Dans un élan, tu es venu à me côtés. Tu as pris mon visage dans tes mains et tu m'as supplié de te pardonner. Tu m'as dit que tu m'aimais plus que tout au monde, plus que toi même.  Tu m'as de mandé si je voulais que tu partes et que tu le ferais mais que rien ne t'empêcherait de m'aimer. Nous étions ridicules. Une vraie télé novela. 

J'ai fait le test moi aussi, sur ton insistance. Je n'avais rien. Il nous a fallu des semaines pour qu'enfin nous nous retrouvions. Malgré nos sentiments, cette épreuve avait effacé une intimité naturelle qu'il nous fallait reconstruire petit à petit. Peut-être avec moins de fougue, avec plus de patience mais avec plus d'amour. Un amour plus profondément ressenti et plus intensivement vécu. 

Nous avons mis ma famille au courant de ta maladie. Elle nous a soutenu sans conditions, dans grands cris. Je me demande encore comment ai-je pu la mériter. Ce qui me fît le plus mal n'était pas ta maladie mais ta trahison. Je ne suis pas un saint et j'ai été tenté à de maintes occasions mais ce petit rien entre nous m'empêchait d'aller plus loin. Et puis, quand j'y réfléchis maintenant, je me rends compte que nous ne nous sommes jamais rien promis. J'ai rapidement dépassé ce stade mais quelque chose s'était irrémédiablement cassé. Nous avions perdu une certaine innocence. C'était brutal, c'était laid, c'était difficile. Certains diraient qu'il était temps à presque trente ans. Qu'ils aillent se faire foutre.

Rosita nous entoura de tout l'amour dont elle était capable, comme toujours. Comment aurions-nous fait sans elle pendant toutes ces années? Je l'ignore. 

La tri-thérapie a fait des miracles mais ce n'est pas de cette horreur que tu es parti. Bien avant de partir à ce foutu congrès, tu te savais condamné. La tumeur maligne gangrénait peu à peu ton cerveau. C'était un miracle que tu aies tenu si longtemps. Les traitements n'auraient fait que t'affaiblir. Il était déjà trop tard. 

Six mois. Cette putain de tumeur nous a laissé six mois. Six petits mois pour te dire combien je t'aimais et l'éternité pour pour te dire que je t'aime encore. C'était trop court. C'était injuste. Te voir souffrir a été un calvaire. Tu a s refusé la morphine au début pour retarder ses effets. Tu voulais rester conscient le plus longtemps possible. Je vivais au rythme de tes traitements. Mises à part les quelques heures passées sur mon lieu de travail, je restais avec toi  à la maison puis plus tard, à l'hôpital. Les infirmières sur place me forçaient à manger et à prendre du repos et des douches! Elles appelaient régulièrement Rosita pour qu'elle vienne me chercher  et me ramener chez nous pour dormir un peu lorsqu'il n'y avait pas de lit disponible dans ta chambre aseptisée. Notre appartement était vide de toi, de tout ce qui faisait de lui notre "chez nous". Je ne pouvais y rester longtemps si tu n'y étais pas. Au début, tu arrivais à me convaincre de rentrer mais bien trop rapidement tu n'as plus argumenté: c'était trop épuisant. 

Deux jours avant que tu ne partes, tu m'as demandé de rentrer. Tu ne voulais pas mourir ici. Les médecins, tes confrères ont dit que tu étais intransportable. J'ai fait alors le siège  pour qu'ils acceptent de te renvoyer chez nous, accompagné de Rosita et de ses enfants puis de ma famille au grand complet. Finalement, les médecins ont cédé en dépit de la législation. Légalement, je n'étais rien pour toi. 

Tu devais rentrer le lendemain. Ce jour-là, il faisait si beau: juin s'épanouissait. C'était les meilleurs jours de l'année, ceux des cerises et du renouveau. On adorait ça. L'hôpital m'a appelé à la bibliothèque où je travaillais, les yeux rivés sur la pendule. Ils m'ont dit que tu allais partir. Je ne pense pas avoir compris. Je n'étais que dans la réactions depuis plusieurs mois alors je suis parti en trombe. J'ai grillé tous les feux sans m'en apercevoir. Je le sais car j'ai reçu plusieurs procès-verbaux . Il faut que je les paye d'ailleurs. Ca fait deux mois. 

Tu avais attendu. Tu m'avais attendu. 

Lorsque je suis arrivé, Rosita pleurait dans le couloir. J'ai cru arriver trop tard. Je me suis assis sur le lit. La maladie t'avait rongé. Tu ne pesais presque rien et la morphine te volait ta conscience. Elle n'agissait plus vraiment Tu as réussi à ouvrir les yeux et tu m'as m:urmuré un "je t'aime". J'ai pris ta main dans la mienne. Elle n'avait déjà plus rien de vivant. Tu as sombré dans l'inconscience peu après. Je t'ai veillé toute la nuit et au petit matin, tu étais parti. Tu m'avais dit l'essentiel.

C'est Rosita qui m'a ramené et s'est occupé de tous les papiers. Je ne sais comment j'ai vécu durant ces eux mois. Elle était omniprésente ainsi que ma famille. Bienvenu a collé ta photo dans l'angle de celle de la baleine. Lui aussi me force à manger. Je ne sais pas comment il se trouve chez nous depuis plusieurs jours. Je ne me souviens de rien. Rosita a dû insister et je ne peux rien lui refuser. Il a un regard si grave ce gosse que je croirai apercevoir un peu de toi dans ses eux. Mais je te voies partout et je pense devenir  fou peu à peu tant le trou dans ma poitrine est immense. 

Soleil et BrouillardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant