Chapitre 2

379 75 4
                                    

Désirée

Le réveil à 4h30 me pique encore les yeux, alors que nous amorçons notre descente sur Denver. Quatre heures de trajet à peine, entre l'aéroport de La Guardia et celui de la capitale du Colorado, mais impossible pour moi de fermer les paupières. C'est bien dommage, parce que j'aurais pu rattraper une nuit chaotique entre peur, appréhension, espoir et énervement.

Légèrement penchée vers mon voisin de droite, je jette un coup d'œil par le hublot, pour m'apercevoir qu'il fait beau, dans cette partie des Etats-Unis, alors que la pluie fine qui m'a accompagnée sur le tarmac de l'aéroport de New York n'est plus qu'un lointain souvenir.

Le temps de passer ma ceinture, de laisser l'avion atterrir en douceur, et me voilà déjà en haut de l'escalier. Je profite de la lenteur d'une vieille dame, juste devant moi, pour faire une pause et respirer l'air qui m'a vue naitre. C'est idiot sans doute, surtout que les odeurs de pneus chauffés, de kérosène et de métaux emplissent l'air de leur fragrances nauséabondes.

La main en visière, je me décide à amorcer ma descente quand mon voisin de derrière se met à rouspéter, et je rejoins les autres passagers pour récupérer ma valise. Je n'ai pas pris grand-chose, juste de quoi passer la journée, et rentrer demain. J'aurais pu d'ailleurs réserver un vol pour cet après-midi, vu que le rendez-vous ne durera sans doute pas plus loin que midi. Mais j'ai vu large et ai même réservé un hôtel. Au cas où.

Au cas où quoi ? Aucune idée. C'est totalement barré, mais je me suis sentie obligée de retarder mon départ à demain matin. Pour qui ? Pour quoi ? Aucune idée, l'instinct peut-être.

Mon bagage fleuri récupéré, je m'active à trouver un taxi. Le temps m'est compté. Je savais que ça allait être juste, mais heureusement, il est rapide, et peu loquace. Ça m'arrange : parler est compliqué pour moi, ce matin, et si j'ai réussi à occulter la raison de ma présence ici depuis ma descente de l'avion, ces quelques minutes dans la voiture, à ne rien faire, ravivent mes souvenirs et mes craintes.

Je suis peut-être à deux doigts de connaitre le mystère de ma vie, alors que j'avais cru en être privée jusqu'à ma mort. Mes doigts s'entremêlent dans un vain espoir de m'apaiser, et je tente de me calmer en découvrant l'architecture locale. Plus massive, moins grise, elle reflète une histoire différente de la Grosse Pomme. Cependant, mon esprit est ailleurs, et les qualités touristiques de la ville me passent complètement à côté.

Soudain, le taxi se gare, et d'instinct, je me penche pour relever le regard vers le bâtiment. Il ne paie pas de mine, et un doute s'installe sur la véracité des informations que j'ai données à mon chauffeur. Mais une plaque métallique, scellée à même la façade, me conforte dans la réalité des faits : le cabinet de maitre Haltmeyer se situe bien à cette adresse.

Je paie le chauffeur, et, face à l'immeuble, fais une pause. Rien de transcendant. C'est cependant le dernier de mes soucis. Ce que je vais y découvrir m'importe bien plus que la peinture défraichie de la façade, la cage d'escalier couverte de graffitis, les marches branlantes et le couloir sombre du second étage, où les lumières automatiques ne daignent pas s'allumer sur mon passage.

Pourtant, c'est bien là, comme l'indique la petite plaque en cuivre sur une des portes, que je me décide à pousser. Mon cerveau a fait le vide, et ce n'est pas plus mal. Et lorsque je parviens devant le comptoir vieillot de la secrétaire, je me laisse porter par les événements. Laissons le destin décider de mon avenir. Ou plutôt de mon passé. Les deux sont-ils liés ? Même pas, je crois.

— Miss Conrad ? m'interpelle une brunette, que j'identifie comme mon interlocutrice de vendredi soir. Maitre Haltmeyer vous attend, vous pouvez entrer.

La porte qu'elle me désigne de la main semble grossir au fur et à mesure que je la fixe. Derrière elle se trouvent mes réponses, et une boule d'appréhension gonfle dans ma gorge.

Coloc à Grey Mountain [ sous contrat aux éditions Addictives ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant