Dix-huit heures. La mère rentre. N'entend rien, ne voit rien, d'abord, puis aperçoit. Se précipite. Crie le nom de son enfant, son amour, et dire que son mari n'est même pas là, Il boit encore, ce con. Elle sort son téléphone, un vieux, un Nokia, car elle n'a pas l'argent pour s'en acheter un nouveau. Compose le numéro des urgences avec difficulté, car elle tremble, n'en peut plus. Un jour elle lâchera, mais pas là, pas maintenant, pas avec lui à ses côtés, peut être encore en vie, qui sait. Sa voix tremble encore plus que ses mains à l'appareil, tant elle a peur. Elle ne sait même pas pourquoi, mais elle sait que quand quelqu'un est écroulé par terre sans bouger, c'est que c'est grave. Une femme répond, calmement, au bout du fil, lui dit que tout va bien, que l'ambulance arrive. « Ils vont faire vite », a-t-elle dit. Ça, c'est pas sûr. Une demi heure plus tard, toujours personne, mais elle n'ose aller voir, de peur que son enfant meure pendant son absence, elle veut être avec lui jusqu'au bout, quitte à ce qu'elle y passe elle aussi.
Ils arrivent enfin. Enfin. Elle a cru voir défiler une éternité devant ses yeux, sentant le petit être s'éteindre petit à petit, son cœur à elle ralentir au fur et à mesure. Cinq personnes débarquent dans la maison, brisant le silence de ses pleurs.
- Madame, tout va bien ?
Non.
- Oui, merci. Mais pas lui. Aidez nous, je vous en prie...
Son regard est mi- larmoyant, mi- suppliant, et l'homme en face d'elle lui adresse un sourire rassurant. Ne lui demande pas où est son mari, ni même si elle en a un, et fait bien. Elle n'aurait pas répondu.
L'enfant est porté délicatement, posé sur le brancard. Sa peau est à la fois brûlante et gelée, son visage est recouvert de sang séché, du vomi sur son pull, pas grave, il était moche, celui-ci. Les portes du camion s'ouvrent, font entrer les médecins, la mère et l'enfant, et se referment. L'intérieur paraît à la femme à la fois vide et plein, vide de la vie de son petit ange, à la fois silencieux et tonitruant, elle n'entend que ça, ses cris et ses pleurs qui résonnent dans sa tête, le défibrillateur et ses pulsions électriques. Il va s'éteindre. Qui du fils ou de l'objet, elle ne sait pas.
Elle n'a même plus de larmes pour pleurer.
Pas si jeune.
Elle s'était disputée avec lui la veille, et cet amour lui avait tout de même réservé une surprise pour son anniversaire. Si petit, il se souvenait de la date. La mémoire des autistes est phénoménale, elle le reconnaissait.
Le secouriste pousse un soupir de soulagement. L'enfant respire, ils sont arrivés à destination. Sortent le brancard, entrent en trombe à l'intérieur du bâtiment. La mère court à côté, haletant, essoufflée. Les médecins lui ordonnent d'aller s'asseoir sur un siège dans l'allée. Elle s'arrête, attend de ne plus pouvoir les voir, et va s'asseoir, la mort dans l'âme. Assis près d'elle, des alcooliques, des hommes, des femmes en pleurs, des couples, tous aussi malheureux qu'elle.
Le temps lui paraît durer une éternité. Elle a fini par s'endormir, épuisée par ses émotions.
Son enfant lui est revenu, cinq heures plus tard, un œil en moins.
- Maman, je vois rien.
***
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vivre sans
Non-FictionVivre sans. Sans les gens, sans père, sans argent, sans bonheur. Sans œil.