Chapitre 3

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Avant de sortir, Nourrice choisit la robe qui, d'après elle, me sied le plus. Un vêtement qui aurait pu être beau si la couturière s'était contentée de le faire vert sapin sans se sentir obligée d'ajouter tous ces frous-frous bouffants sur les jupons. Mais je n'ai pas mon mot à dire. Mes chances de mariage sont trop faibles pour qu'on m'y autorise.

— Bon, qu'est-ce qu'on fait de vos cheveux aujourd'hui ? me demande ensuite la coiffeuse à domicile.

Je vais pour répondre, mais Nourrice s'en charge avant moi :

— Des ondulations saupoudrées de paillettes d'argent.

— Bien, madame.

Je soupire, la coiffeuse s'exécute. S'il y a bien une chose que je ne peux pas reprocher à Nourrice, c'est qu'en général, elle ne manque pas de goût.

Mes cheveux blonds presque blancs sont parfaitement lavés, séchés et coiffés avant d'être recouverts d'un léger voile de poudre d'argent. J'ai toujours aimé ce métal. Sa couleur froide me rappelle celle de mes yeux. Tout chez moi manque cruellement de chaleur : mon teint, mon caractère, jusqu'à mes iris. Je n'ai jamais fait partie de ces femmes et hommes lumineux, flamboyants, constamment souriants et solaires. Non pas que je ne veuille pas, mais une apparence fade n'attire pas. Et à force qu'on me laisse dans mon coin, j'ai fini par m'y sentir bien et y rester. De toute façon, le monde dans lequel je vis n'est qu'une grande mascarade. Il ne m'a jamais entièrement acceptée et je ne l'ai jamais vraiment aimé. C'est ainsi. Dans chaque société, il y a eu ceux qui s'intègrent et ceux qui restent en marge. Je fais partie des seconds.

Pourtant, l'espoir ne me quitte jamais. J'espère toujours un jour réussir à être acceptée, à trouver un mari convenable qui me laissera exercer un métier et m'autorisera à sortir des heures en promenade pour que je puisse rêver d'un autre monde. Ou du moins, du même monde, avec une société différente. Une société dans laquelle on ne me traiterait pas comme moins que du bétail.

Fianée, une de mes seules amies d'enfance, d'un an mon aînée et bibliothécaire, m'a un jour demandé de l'accompagner dans la section Homme. Elle nous est bien évidemment interdite, mais à force d'observer le Maître de la bibliothèque, de le suivre de loin, de retenir chacun de ses gestes, aussi discrète qu'une petite souris, elle a réussi à trouver le code de cette section prohibée. Un soir, alors que mon amie devait fermer, celle-ci a malencontreusement oublié de verrouiller l'une des fenêtres du rez-de-chaussée. Plus tard dans la nuit, bravant le couvre-feu, nous nous y sommes faufilées et nous sommes rendues là où nous ne le devions pas.

Cette partie de la bibliothèque regorgeait de vieux livres en tout genre, même ceux aujourd'hui interdits : livres d'Histoire ancienne, romans empreints de romance et d'imaginaire. Je ne savais même pas qu'il était possible d'inventer de telles choses avant de parcourir les pages de ces ouvrages ! C'était incroyable. Ce jour-là, nous avons également découvert un livre historique datant d'un siècle passé et aucune de nous n'a osé y croire. Femmes et hommes pouvaient se marier à l'âge qu'ils voulaient, avec la personne de leur choix, ou même choisir de ne pas se marier. Une femme pouvait être chef d'entreprise. Une femme pouvait donner son avis avant même d'enfanter et d'attendre la cinquantaine. La société dépeinte était loin d'être parfaite, certes, et hantée par des guerres – ce qui n'est plus notre cas –, mais cette lecture a réveillé en moi un espoir en train de se tarir. L'espoir qu'un jour, on nous réintégrerait entièrement, nous, les femmes, et que notre combat pourrait mener plus loin encore qu'il y a des centaines d'années. Mais je ne suis pas certaine que rêver à tout ça me fasse vraiment du bien...

Je passe tout mon après-midi en compagnie de Nourrice, mon brassard numéroté au bras, à arpenter les rues du centre-ville. Je dois arborer un joli sourire alors qu'elle me tient une conversation sans intérêt pour faire passer le temps.

Tu seras la Mort (en cours d'autoédition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant