Prologue

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💔

(Suicide)


     Froid.

     Elle avait terriblement froid. 

     Elle ne ressentait rien d'autre.

     La pièce lui semblait vide de toute sensation. Aucun de ses membres ne répondait, chacune de ses demandes étaient automatiquement avortées, comme un manque d'activité cérébrale qui bloquait n'importe quel geste. Mais cela lui était égal. C'était ce qu'elle désirait. L'objectif qu'elle s'était fixé était sur le point d'être atteint. Elle savait désormais qu'elle entrait dans une spirale de laquelle elle ne pourra plus jamais s'échapper. Plus jamais. Le temps allait se figer.

     C'était un instant de libération, après toutes ces années de souffrance qui l'avaient frappée, après toutes ces journées qu'elle avait passées à réfléchir à s'en faire saigner les bras, toutes ces remises en question, après tous ces moments d'injustices et d'incompréhension, elle obtenait enfin sa libération. Une liberté qu'elle seule pouvait s'infliger et que personne n'était en mesure d'arrêter à présent. Cependant, le froid était toujours présent. Il devenait insupportable. L'attente était insoutenable. Face à cet escabeau, face à cette corde, elle sentait l'impatience lui tordre les tripes. Elle se sentait moite, en proie à une peur qu'elle n'avait jamais connue. Mais contrairement à ce qu'elle pouvait croire, contrairement à ce qu'elle aurait pu penser, c'était bon. Cette appréhension l'animait. Elle faisait battre son cœur comme jamais il n'avait battu auparavant. C'était tout nouveau.

     Pourtant, c'était éphémère. Ce moment sera éphémère. Elle savait qu'il se terminerait bientôt. Les substances qu'elle avait ingurgitées agissaient déjà sur son organisme. Une horrible douleur frappait son estomac, et elle se sentait chancelante. Les meubles étaient flous, le sol vaseux, le plafond éblouissant. Elle était bel et bien réveillée, mais la fatigue l'assaillait d'une toute nouvelle manière. C'était déchirant. Rien d'agréable. Mais elle ne voulait pas s'endormir. Elle voulait partir consciente. Elle voulait avoir la certitude qu'elle ne se réveillerait plus jamais.

     Ses pieds semblaient s'être ancrés dans le sol tant le froid était mordant. Il fallait qu'elle fasse vite. Elle sentait son rythme cardiaque anormalement s'accélérer, signe qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps. Or, alors qu'elle était prête à faire un pas vers l'escabeau, celui qui l'aurait amené jusqu'à sa délivrance, elle sentit une première nausée. Elle se sentait de plus en plus transpirante, de grosses gouttes de sueurs venant perler le long de son front tandis que des larmes vinrent s'écraser sur le verre de ses lunettes. Elle posa maladroitement une main sur son front dans une tentative de retrouver la raison, la fièvre lui montant à la tête. Sa respiration se faisait de plus en plus difficile. Elle ne pouvait prendre une bouffée d'air sans avoir l'impression d'étouffer, comme étranglée par la vague de chaleur qui vint soudainement envelopper son corps.

     Avec lenteur, elle s'adossa au plan de travail contre lequel elle s'était accoudée le temps de reprendre ses esprits, or, son état ne s'arrangeait pas.

     C'était à cause de lui. Il lui avait promis mille merveilles. Il lui avait déclaré son amour en tout innocence, comme s'il s'agissait d'un jeu. D'un putain de jeu. Il lui avait pris sa vertu. Et il lui avait menti. Il savait parfaitement ce qu'il faisait. Mais aujourd'hui, c'était à elle de reprendre confiance. Pour une dernière fois. Elle devait accélérer le processus. Se dépêcher. Il fallait qu'elle en finisse. Elle grimpa donc sur l'escabeau. Une marche. Deux marches. Trois marches. Et enfin la quatrième. Elle devait se trouver à environ un mètre au-dessus du sol. Elle n'était pas sûre. Elle s'en foutait. Difficilement, elle saisit la corde qu'elle avait préalablement accrochée et qui pendait mollement face à elle. Tout était prêt. Son moyen de libération était là. Juste devant ses yeux, à disposition de ses mains.

     Mais subitement, elle sentit une hésitation. Elle voulut se raviser. Était-ce... vraiment nécessaire ? Devait-elle vraiment finir ce qu'elle avait commencé ? N'y-avait-il qu'un seul moyen de libération ? Sa liberté ne tenait donc qu'à une corde ?

     Ses pensées divaguèrent. Son regard bleu fixa le vide, trahissant une douleur dont elle seule était la maitresse à cet instant précis. Elle le savait. Elle avait pris ces médicaments en connaissance de cause. C'était sa décision, la sienne, et celle de personne d'autre. Alors pourquoi pensait-elle à tous ceux qui l'ont fait souffrir, à tous ceux qui l'ont accablée, accusée, à toutes ces personnes qui l'ont laissée tomber ? À quoi bon cela servait de penser, de se remémorer de leur visage alors qu'ils ne ressentaient aucun remord ? À quoi bon cela servait d'essayer d'oublier par mille et une manières si la douleur revenait à chaque fois ? Décuplée, encore plus violente que la fois précédente, insupportable, à tel point que l'on oublie de manger, de boire, de se laver, de se lever ? Les médicaments, trop de médicaments. Ils l'avaient tuée à petits feux. Alors pourquoi s'acharner à continuer ? À quoi cela pouvait servir si ce n'était causer encore plus de souffrance ?

     À quoi bon ?

     À rien.

     La colère prit le dessus, et les larmes se firent plus intenses. La fièvre lui fit perdre la tête, et les hurlements lui brulaient la gorge. Pendant trop longtemps, elle s'était abstenue de sortir toute cette rage. Et désormais, elle en payait le prix. Le pire prix du monde. Décidée à ne plus revenir en arrière, en proie à la folie causée par l'overdose, elle saisit la corde de ses mains tremblantes et la passa autour de son cou. Elle serra fortement le nœud en haut de sa nuque. Fort. Trop fort. Elle se sentait déjà hoqueter de douleur et sa gorge ne lui faisait que plus mal. Elle ne comprit pas pourquoi ses mains lui paraissaient si puissantes, comme si elles étaient victimes d'une énergie indomptable, comme si elles agissaient par elles-mêmes. C'était effrayant.

     Elle avait affreusement peur. Elle voulait tout arrêter. Maintenant. Mais l'air lui manquait. Cette fois-ci, son rythme cardiaque ralentissait. Elle le sentait, mais n'arrivait plus à respirer. Elle ouvrait désespérément la bouche. Il lui fallait de l'air, mais ce dernier n'arrivait pas jusqu'à ses poumons, ses doigts n'arrivant pas à se faufiler entre la peau de son cou et la corde pour défaire le garrot qui l'asphyxiait. À chaque tentative de reprendre sa respiration, un bruit écœurant ressortait de sa gorge. Ses gestes devinrent paniqués et saccadés, les médicaments l'empêchaient de penser correctement. Elle n'était même pas sûre d'être complètement consciente.

     Soudainement, elle entendit des pas se rapprocher de la porte et un poing s'abattre contre cette dernière dans un cri effroyable et accablant. Sa mère était là. Mais elle n'était même pas certaine de vraiment l'entendre, ni même de bien la reconnaitre. Elle ne savait pas si c'était une hallucination ou la réalité. Mais dans un dernier espoir, elle tenta de se retourner et tendit un bras vers la porte. Sa mère. La seule qui n'a jamais cessé de la rassurer, de la consoler, de l'embrasser le soir avant d'aller se coucher à son tour, de la défendre, de l'aimer. La seule qu'elle n'avait jamais aimée.

     Mais la tête lui tourna, et sans même s'en rendre compte, elle partit en arrière. Il lui suffit d'une demi-seconde pour glisser de l'escabeau. Ses pieds quittèrent la petite échelle l'un après l'autre dans un mouvement à la fois rapide et impérissable. Le poids de son corps l'entraina à son tour en arrière. Ses beaux yeux bleus se posèrent sur le plafond, et en un clignement d'yeux, il devint ciel. Un ciel découvert, azur, resplendissant, comme elle n'en avait jamais vu par le passé. Le soleil semblait soudainement taper sur sa peau, et une étrange chaleur l'enveloppa davantage dans une étreinte maternelle qu'elle ne connaîtra plus jamais.

     Puis, tout devint noir. Le temps lui avait paru être une éternité avant de rendre son dernier souffle dans un hoquet d'horreur, ses bras et jambes ballants, son corps encore chaud pendant dans le vide alors que sa mère hurlait son nom. Le bref bruit de ses lunettes venant s'écraser contre le sol résonna dans la pièce avant de laisser place à un silence de mort.

     Il faisait toujours aussi froid.

À tes yeux : Perdus dans les miens, TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant