Samedi 26 mars 2011
Je suis réveillée par le bruit des voitures qui se garent sur les graviers de ma piètre maison. Ici, l'isolation a été comme oubliée lors de la construction des murs et nous pouvons entendre absolument tout ce qu'il se passe dehors. Désormais bien éveillée, je regarde le réveil : sept heures trente. Qui cela peut bien être ? Ma mère et moi ne recevons que rarement de la visite, pour ne pas dire jamais. Nous sommes samedi et d'ordinaire personne ne vient avant dix heures à cause de tous les médicaments qu'elle prend au quotidien. Je grogne de frustration et je me dirige, le pied traînant, vers ma grande baie vitrée.
J'ouvre les stores, et la lumière du soleil m'éblouit et m'empêche de voir distinctement les silhouettes qui sont présentes devant ma porte. Quelques secondes plus tard, j'aperçois une large et vieille fourgonnette et deux hommes en blouse blanche. À ce moment, je sais très bien ce qu'il va se passer et qui sont ces hommes. Je cours alors jusqu'à la chambre de ma mère. Elle dort profondément, un filet de bave dégoulinant de sa bouche. Et une question se pose : comment vais-je la réveiller ?
– Charlotte, réveille-toi ! dis-je à ma mère d'une voix forte, mais non criarde.
Je me dirige vers les stores et ouvre manuellement le volet, qui grince. Même la vive lumière du début du printemps ne vient pas interrompre le profond sommeil de ma mère. La voir si apaisée, bien que cela soit occasionné par des produits artificiels, me soulage. Depuis la mort de mon père, elle est rarement calme.
Je m'approche alors d'elle et m'assois délicatement à ses côtés. Je passe ma main dans ses cheveux bruns aux reflets roux au soleil. À mon toucher, elle bouge la tête de quelques millimètres. Lorsque j'entends la sonnette retentir dans la bâtisse, je sursaute et une vague d'anxiété me submerge. Je sais pourquoi ils viennent. Je le sais, car tout le monde voit, et notamment mes grands-parents, que ma mère n'est plus stable. Ses propos n'ont plus aucune cohérence et cela s'est grandement aggravé ces derniers temps. Je l'ai compris aussi, car j'ai surpris une discussion entre mes grands-parents et ils parlaient d'un hôpital psychiatrique à Varbonne, il me semble. Je me suis renseignée et je ne veux pas qu'elle aille là-bas. Sa place est à mes côtés. Je reste un long moment à écouter le bruit strident de la sonnette, sans pour autant bouger d'un millimètre. Mais j'entends soudainement la voix de ma grand-mère :
– Il faut que tu nous ouvres, Kiara, ne t'en fais pas, ce n'est rien ! Ils veulent forcer la porte, tout sera plus simple si tu viens nous ouvrir.
En pensant au prix de la rénovation et au peu d'argent que ma mère réussit à gagner, je descends donc, à contrecœur, ouvrir à ces deux hommes tout vêtus de blanc et au regard particulièrement austère. Une fois la porte ouverte, ils ne m'adressent pas un seul mot et choisissent la direction des escaliers d'un pas assuré, comme s'ils connaissaient la maison depuis toujours. Ma grand-mère apparaît alors sur le seuil et me prend dans ses bras. Je ne lui rends pas son étreinte, car je sais, du haut de mes quinze ans, qu'elle est responsable de cette venue. Je sais qu'elle a pris la décision de m'enlever ma propre mère.
– C'est pour son bien, ma chérie... Et pour le tien..., susurre-t-elle avec une voix faussement touchée.
Bientôt, les cris de ma mère arrivent à mes oreilles et mon corps se tend instinctivement. Je me retire violemment des bras de ma grand-mère pour me retourner vers les escaliers où elle hurle et se débat. Je peux voir l'incompréhension dans ses yeux mouillés par de chaudes larmes. Mais ce qui me fait le plus mal, ce sont les paroles qu'elle prononce :
– KIARA ! Aide-moi ! Ne les laisse pas m'emmener, je t'en supplie...
Mes larmes coulent le long de mes joues sans que je puisse les retenir et mon cœur se serre sous les cris effroyables de ma mère. Une soudaine envie de vomir me transperce de toute part. La culpabilité. C'est ce sentiment que je ressens au moment où je vois ma mère se débattre et petit à petit s'éloigner dans notre allée. Comment est-ce possible de se faire expulser de sa propre maison ?
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L'énigme de Saint-Solgrève : Voyage vers l'entre deux mondes
Mystery / ThrillerKiara, une jeune femme bouleversée par l'internement de sa mère alors qu'elle n'avait que 15 ans, va mener son enquête en solitaire pour découvrir les causes de sa disparition subite. Max, lieutenant de Police impliqué dans son travail, va devoir é...