Katmandou, Népal, 2015.
"Ferme la bouche quand tu manges."
Ma mère était une femme de bijoutier à l'air strict et aux manières un peu trop prononcées. Elle avait épousé mon père il y a à peine cinq ans, par mariage arrangé. Une mère est censée être une figure rassurante pour un enfant.
La mienne ne l'était pas. Elle était froide. Elle me faisait peur. Ses longs cheveux noirs noués en une tresse soignée dévalaient son épaule gauche en une cascade. Ses traits étaient toujours tirés, et sa mâchoire un peu trop dessinée. Elle avait un fort caractère, ne laissait jamais passer aucune émotion. Je ne me rappelle pas qu'elle m'ait rien qu'une fois accordé un signe d'affection. Je ne l'aimais pas, et ne savais pas ce que mon père lui trouvait.
Lui, était tout l'inverse de ma mère. Il était un peu fort, niveau corpulence, et avait presque une quinzaine d'années de plus qu'elle. Sa grosse barbe blanche, dans laquelle j'aimais glisser mes doigts, était presque semblable à celle du père Noël. Il avait un visage rond aux traits gentils, il était le miroir de son caractère. Il se mettait très souvent de mon côté lorsque ma mère et moi avions un différent, - mais je dois dire que j'étais une enfant un peu difficile.
Je n'avais pas faim, ce jour là. J'avais les yeux fixés sur la télévision, et je mâchais avec difficulté le porc bien trop épicé pour moi. Je jetai un coup d'œil vers mon père, qui m'adressa un sourire rassurant, avant de reposer ses yeux sur la télévision. Ma mère, le dos droit, n'appréciait pas du tout cette manie de dîner devant la télé, mais, pour une fois, elle avait cédé.
Soudain, le visage de notre Kumari apparut à l'écran. Je me tortillai nerveusement. Son apparition me mettait toujours mal à l'aise. Je ne savais pas vraiment pourquoi. Son regard fuyait les caméras et les passants. Elle était si jolie et si impressionnante, avec ses bijoux et ses grandes parures rouges. Birsha avait dix ans de plus que moi, mais possédait le visage d'un bébé. Elle était magnifique.
La journaliste prit la parole :
"Notre Kumari bien aimée, Birsha, est réglée depuis hier soir-"
Je n'eu pas le temps d'entendre la suite que ma mère lacha son verre, heureusement presque vide. Celui-ci s'était brisé au sol dans un tintement sonore. Je restai interdite. C'était bien la première fois que ma propre mère se laissait emporter de la sorte.
Elle porta une main tremblante à sa bouche, et je pus entendre la suite.
"Notre nouvelle Kumari sera choisie par les prêtres demain, dès l'aube. Nous vous remercions de votre atten-"
Mon père éteignit la télévision d'un geste lent. Je frissonnai. Jamais je n'avais vu les traits de mon père aussi tirés que ce soir là. Ce fut le début de tout. Je pense que jamais je n'oublierai ce moment. Jamais. Quelque chose a changé, depuis. Une aura différente était apparue tout autour de moi.
~
"Une Kumari est une jeune fille vénérée comme une déesse vivante au Népal.
La tradition des Kumaris (vierges en français) date du xviiee siècle. Elle consiste à isoler de très jeunes filles pour les adorer. Ces déesses vivantes sont l'incarnation de la déesse hindoue Durga représentée par des petites filles pré-pubères." Wikipédia

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Kumari
Короткий рассказSelon la légende népalaise la plus populaire, le dernier roi Malla de Katmandou serait allé chaque soir rejoindre la déesse Durga, afin de jouer aux dés. On dit que la reine, devenue suspicieuse a, un soir, suivi le roi. Lorsque la déesse s'en est a...