En sortant du travail samedi, je m'accorde une petite sieste avant de me préparer. Il a été convenu qu'on se rejoigne tous dans un bar de Saint-Germain vers vingt-deux heures. Comme toujours, je n'ai plus du tout envie de sortir alors que c'est l'idée qui m'a animée toute la semaine. Me défiler n'est de toute façon pas envisageable, puisque deux groupes se réunissent et j'en suis la jonction.
Depuis que je ne vois plus Alizée, j'ai pu économiser un peu d'argent, voyons le bon côté des choses ! Ce soir, je suis bien décidée à m'amuser et à laisser de côté tous les aspects négatifs de ma vie. Je crois que, pour être vraiment honnête, j'ai aussi envie d'attirer le regard en me montrant sous mon meilleur jour ; mon orgueil réclame un peu de lumière.
Lorsque j'arrive au café, Laure, Salimata et Jérémie sont déjà là et me font de grands signes. Laure travaille dans la même médiathèque que moi, mais les deux autres travaillent dans le 13e arrondissement. Nous avons parfois des réunions et des formations ensemble. Laure se charge d'entretenir les liens.
On pénètre dans l'établissement déjà secoué d'une ambiance festive. La musique est forte, l'alcool coule à flots.
A peine sommes-nous installés à une table que j'aperçois Sarah et Amandine qui balaient la pièce du regard. Je dois l'avouer : depuis que la soirée a été organisée et que Sarah a accepté que l'on se voie, j'ai un infime espoir secret. J'ai songé, j'ai rêvé, j'ai divagué. J'ai imaginé que, peut-être, Sarah proposerait à tout son entourage de se joindre à nous. Elle m'a dit « Amandine sera là ». J'ai pensé d'autres vont se greffer. Ce n'est pas le cas. Plus tard ? Il était infime l'espoir car le songe ne tenait pas la route. Mais le songe me plaisait. Je chasse la déception et sourit à Sarah en secouant le bras pour attirer son attention.
Les présentations sont faites rapidement. Tout le monde se lie facilement, ces attachements provisoires sont plaisants. C'est parfois difficile, on refuse l'accès à tous, alors même que l'on crève d'envie de les laisser nous connaître. On se verrouille et ne donne rien de ce qui fait que l'on est soi. On propose alors une image sympathique, que la plupart des gens apprécient, mais c'est insuffisant. Par exemple, je trouve Sarah lumineuse et j'aimerais qu'on devienne vraiment amies. C'est toujours elle qui m'a contactée jusqu'à aujourd'hui et elle semble tout à fait s'ouvrir à moi. Pourtant je me retiens. J'ai peur de déplaire, alors je ne livre pas grand-chose. Je sabote ainsi l'attachement.
Mais ce soir, je veux être là, je veux partager, je veux ressentir. Je me laisse entraîner loin des tables pour danser et je ris. Beaucoup trop. D'un rire nerveux qui éclate contre les murs et vibre au rythme de la musique. Et je bois. Beaucoup trop. Les barrières s'envolent, je me trémousse avec Amandine, esquisse quelques pas de salsa avec Sarah l'hispanophile, avec des inconnus aussi. J'ai l'impression qu'on fait le spectacle et que notre talent crève l'écran. L'alcool fait illusion...
Sarah regarde son téléphone à plusieurs reprises. Alors je me remets à espérer.
— T'attends des nouvelles de quelqu'un ? je hurle.
— De mon frère oui, – l'espoir exulte, elle lui a dit de passer, il va finir par arriver, avec toute la bande, ma petite robe et moi sommes prêtes – je lui ai demandé si je pouvais dormir chez lui vu que c'est à Paris même, mais il me répond pas !
— Oh... Si tu veux, tu peux venir chez moi...
— On verra quand on part, d'ac' ? Mais c'est gentil !!
Je lui fais signe que je reviens, j'ai chaud, j'ai besoin de prendre l'air. Je fonce droit devant moi, je vacille imperceptiblement en accélérant vers la sortie. Je me retrouve face à la nuit, tandis que des groupes enfumés rient très fort. Je suis mal à l'aise dans ma tenue, dans mes talons trop hauts, dans mon déguisement de femme. Laure me rejoint peu de temps après et finit par m'entraîner à nouveau à l'intérieur. Mes pensées embrouillées se dissipent alors que je me remets à danser et à rire.
Lorsqu'on quitte le café, Sarah n'a toujours pas eu de réponse de son frère, Amandine et elle acceptent donc de venir chez moi pour ce qui nous reste de nuit et on s'endort serrées dans mon canapé convertible.
J'ai eu le mal de mer une partie de la nuit, sentant le matelas voguer sur une eau agitée, mais j'ai fini par sombrer totalement. Lorsque j'ouvre les yeux, le matin n'est déjà certainement plus, je cherche mon téléphone, mais il ne réagit pas, alors je le mets en charge. Je jette un œil aux deux jolies filles bavant dans mes draps ce qui me fait pouffer. Après avoir attaché mes cheveux en un gros chignon désordonné sur le haut de mon crâne et le plus discrètement possible, ayant réalisé que mes placards étaient à moitié vides, je commence à préparer une pâte à crêpe pour apaiser la faim post-cuite de mes invitées.
— Salut beauté ! La voix d'Amandine claque derrière moi alors que je m'affaire à fouetter le mélange.
— Coucou...
Elle s'est déjà assise sur une chaise de bar et me sourit franchement, les yeux ensommeillés encore.
— T'es motivée, tu cuisines déjà ! Tu fais quoi ?
— Des crêpes pour le petit-déj !
— Trop bien... Je suis contente que son frère ait pas répondu, on n'est pas accueillies comme ça chez lui !
La voix éraillée de Sarah se fait entendre du fond de la pièce :
— Il m'a répondu finalement au fait ! Mais on était déjà couchées... Il était pas chez lui, ils étaient tous chez Hakim. D'ailleurs ils nous ont pas invités ces enfoirés...
En même temps, ils ont peut-être besoin de se retrouver entre eux en ce moment, tous les deux-trois jours, un de leur clip sort et hier soir, les pré-commandes de leur album ont été ouvertes. Oui, j'ai rouvert mon compte Instagram. Oui, J'y ai zoné quelques fois. Plusieurs fois. Par heure. Peut-être pour ça que la batterie de mon téléphone est à plat d'ailleurs.
J'ai mis le tas de crêpes au milieu de la table et Sarah nous a rejointes autour du bar pour qu'en concert on s'empiffre. Amandine est drôle, elle se moque de nos danses de la veille en les reproduisant. C'est d'autant plus drôle qu'elle paraît tellement calme, même un peu froide au premier abord ! On replie le canapé et je file à la douche. Alors que l'eau dégringole sur mon corps, j'entends la sonnette retentir et Sarah me demander si elle doit ouvrir.
— Demande qui c'est d'abord ! Je lui crie en me rinçant rapidement.
Je m'attendais à ce qu'elle revienne près de la porte de la salle-de-bain pour me dire qui avait sonné, mais elle n'en fait rien. J'enfile en vitesse un t-shirt et un short de pyjama avant de rejoindre les filles, mon chignon affreux surplombant toujours ma tête fatiguée.
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Quand danseront ensemble l'ombre et la lumière - Mekra
Fiksi PenggemarJe semble trop jeune, trop naïve, trop fragile. Je traverse la vie discrètement, prenant la place que l'on veut bien me laisser. Soudain, je croise sa route. Hakim est tout mon contraire et je crois que ça me plaît.