Ouverture

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– À cet instant tu es mienne, juste ma chose. Bientôt tu ne seras qu'un soupir évaporé et tu ne mesures pas ma satisfaction, ma joie de te voir si piteuse et définitivement seule.

Sur un ton solennel empli de moquerie sadique, l'homme savourait cet instant qu'il avait espéré et dont il rêvait depuis un long moment. Sulina, à ses pieds, en détresse et impuissante, n'essayait même plus de se lever. Son corps affaibli était étendu sur le sol froid et sali par les vas et viens de ces soldats, de cette cour et de ce « Lord », comme il aimait se faire appeler.

La pièce était vaste, froide, éclairée par des néons bleuâtres sans âme, sans chaleur, sans humanité. Plusieurs torches allumées faisaient office de décorations sinon désuètes au moins lugubres.

– Tu vois, Sulina, tu as misé sur le mauvais cheval. Etre témoin aujourd'hui de ton état...quelque part...me désole, oui. Tu étais promise à un si bel avenir à nos côtés mais tu as préféré creuser ta propre tombe...bien t'en fasse...

– Je ne regrette rien. Tu vas m'éliminer aujourd'hui, mais demain ce sera ton tour. Si ce n'est pas moi qui t'exterminerai, quelqu'un d'autre le fera. Tu n'es promis à aucun avenir. Profite de ce moment et de ta gloire éphémère, car bientôt tu seras à genoux. Détruit.

Sulina, le visage tuméfié, puisait en elle les quelques forces pour pouvoir défendre son honneur et son combat, le temps de ces quelques minutes qu'elle sentait être les dernières. Son regard sombre empli de haine fixait celui de son bourreau qui prenait un malin plaisir à jouer avec sa proie, tel un jeune chat avec sa souris agonisante.

– Tu ne regrettes rien, certes. Moi non plus à vrai dire. J'admire ton courage Sulina, vraiment, mais celui-ci n'aura pas suffi, je le respecte mais il n'aura pas suffi, hélas.

Feignant d'éprouver un quelconque remord, l'homme dressa alors son épée à vingt centimètres au-dessus de la tête de Sulina, déterminée à se montrer combative jusqu'à la dernière seconde.

Son tortionnaire, concentré, ressentait une certaine réticence à mettre un terme à cette vie étalée sur le sol, tant son désir de faire durer ce supplice l'animait. Il fit descendre très lentement son épée à deux centimètres de la nuque de la jeune fille, sans toutefois la blesser. Sa lame effleura alors, comme une caresse sensuelle, le cou de sa victime. Il prenait soin de ne pas compromettre la chair de sa victime en glissant très délicatement son fer le long de son dos.

Persuadée d'être prête à en finir, Sulina sentit la chaleur de la panique envahir son corps, cette terreur qui gangrène et vous soumet, alors que son bourreau s'appliquait toujours à ne pas la blesser. L'imminence de la mort devint alors une obsession foudroyante de laquelle il était impossible pour Sulina de se détacher.

Lony se dressait debout, stoïque, dans un coin sombre de la pièce, assistant impassible à la scène qui se déroulait sous ses yeux vides d'amour, de haine ou de compassion.

Lony, celui-là même qui avait grandi aux côtés de Sulina, sa sœur de cœur, dans cet orphelinat froid et rebutant, théâtre de leur construction respective et de la fusion de leurs âmes, prémisses de l'anéantissement de leur relation. Ce lien pourtant solide s'était développé progressivement depuis leur petite enfance, une enfance chaotique à l'image de l'époque dans laquelle ces enfants, aujourd'hui devenus de jeunes adultes, vivaient.

Sulina, terrassée par la peur, tourna alors péniblement la tête vers celui qu'elle pensait être son plus grand ami et lui lança dans un murmure de détresse :

– Sauve-moi...je t'en supplie...

Lony, figé, les yeux prétendument perdus dans le vague, se tenait droit, une main posée sur son sabre accroché en bandoulière, l'autre tombant le long de sa cuisse. Le frottement incontrôlé de son index sur son majeur semblait trahir une forme de tension mais à ces mots déchirants il ne répondit rien, laissant ainsi le destin prendre sa revanche et transformer à jamais le courant de leurs histoires respectives.

Le bourreau tourna la tête en direction de Lony, le contemplant avec un regard sadique avant de regarder la jeune femme à terre. Le regard de l'homme s'illumina comme envahi d'une révélation. Il rangea son arme dans son fourreau tout en éclatant de rire avant d'imiter laidement Sulina en s'approchant de son visage :

– Sauve-moi, je t'en suppliiiiiiiiiiie !

Puis, pris d'une rage inexplicable il continua sur un ton virulent :

– Mais qu'espères-tu ? Qu'attends-tu ? Imagines-tu un instant qu'il te sauvera ? En es-tu vraiment là ?

Sulina continuait à fixer Lony, suppliante, tandis que le jeune homme restait impassible, le regard posé sur la flamme ondulante d'une torche.

Le Lord se dirigea vers Lony en claquant frénétiquement des doigts comme pour le sortir de son état d'hypnose :

– Oh ! Tu es avec nous ? Tu pourrais répondre à ta meilleure amie quand même ! Approche.

Le jeune homme s'exécuta et, d'un ton glacial et sans humanité se contenta de répondre :

– Je n'ai rien à lui dire, vous le savez.

– Tu n'as peut-être rien à lui dire mais tu as quelque chose à faire. Sulina n'a pas tort, cet épilogue est si évident et...facile...et ennuyeux. C'est à toi de l'exécuter ! Je te laisse cet honneur.

La commande brutale et cruelle tomba comme un couperet. Le regard de Lony, toujours aussi froid, se tourna alors lentement vers Sulina. Les deux amis de toujours se fixèrent alors sans dire un mot, les yeux emplis de sentiments réciproques contraires. Après plusieurs secondes de silence pesant, Lony s'adressa à l'homme qui jubilait :

– Si tel est votre souhait...

Il était désormais loin le temps de la complicité, de cette union fraternelle forgée entre les murs de l'orphelinat qui avait été témoin de la naissance d'une relation aussi complexe qu'évidente.

CHAOS - La confusion des doutesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant