Chapitre 20

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Devant le miroir de la petite salle de bain de l'intendance, Jilian ne se reconnaissait plus. Il se sentait dissocié. Il savait que c'était lui, et pourtant, il avait la sensation de voir un inconnu.

Son corps mince était devenu maigre. Il n'avait jamais vraiment eu de carrure, un complexe qu'il avait porté pendant toute son adolescence, mais il avait eu l'espoir qu'à l'âge adulte, il s'étofferait. À présent, il était squelettique et malade. Sa mâchoire saillante lui avait fait perdre l'arrondi de son visage. Son teint bronzé était blanchi par le stress, et les cernes sombres qui s'agrandissaient sous ses yeux soulignaient son manque de vitalité. Ses cheveux mériteraient une bonne coupe, car ses boucles décoiffées le gênaient quand elles tombaient devant ses yeux d'un bleu pâle sans saveur. Son regard morne le fixait.

L'autre apparut, tel un flash avant que la sensation ne passe. Il percevait un faible éclat dans son regard. C'était lui, pas un autre.

Il se détourna, termina de se laver avant de quitter la pièce exiguë.

Jilian n'avait pas dormi.

La veille, dès le retour du labyrinthe, Ali était restée dans ses appartements jusqu'au dîner. Sans que rien ne laissât présager des intrus, le protocole d'urgence s'était redéclenché. Impuissant, Jilian avait regardé les cloisons se rabattre et les cloîtrer pour des heures indéterminées.

L'angoisse était venue le faire manquer d'air. Néanmoins, il avait réussit se calmer plus rapidement. On l'enfermait, mais il était aussi protégé de l'extérieur.

Le sentiment de sécurité n'était pas parvenu à l'aider à dormir. Il avait trop de choses à penser. La discussion entre les chef·fe·s de famille ne cessait de tourner dans sa tête. C'était effrayant de découvrir un tout nouveau monde et de n'avoir aucune clef pour le comprendre. Pourtant, il voulait en savoir davantage, malgré l'horreur, il ressentait de la curiosité. Une sorte de fascination morbide qui le dérangea profondément.

Il chassa ces idées pour revoir le visage d'Ali sous les néons du carrousel, sa chaleur, sa bienveillance. Jilian voulait redevenir une bonne personne, celle qu'il était avant le décès de Line. Celle qui avait de l'espoir, de l'envie, de la vivacité. Qui manquait de courage, mais qui aimait les autres.

C'était peut-être ça qu'il cherchait, la raison qui l'avait mené au manoir. Peut-être que tout ceci n'avait pas de rapport avec lui, mais il ne pouvait décemment pas laisser quoi que ce soit arriver à Ali.

Elle avait besoin de lui. Et il avait désespérément besoin d'un but. Il se serait senti galvanisé si l'autre n'avait pas ri comme un dément dans son esprit, s'il n'avait pas ressassé les mots d'Ézriel.

« Qu'est-ce que toi, tu m'as fait ? »

Épuisé à se faire des nœuds au cerveau, Jilian s'écroula dans un sommeil cauchemardesque.

Le lendemain, la journée se déroula comme la précédente. Seökh arriva avec le petit-déjeuner, et l'autorisa à se laver avant de réveiller Ali. Le majordome en chef l'avait fixé d'un œil attentif comme s'il s'attendait à ce que Jilian lui pose des questions.

L'absence d'interrogations rendit sa face plus sévère encore. Suspicieux, Seökh quitta l'appartement sans un mot. Ali se leva tandis que son majordome tirait les rideaux et ouvrait les fenêtres de la chambre. Il s'attendit à la trouver devant son café, comme tous les jours.

Il n'en fut rien.

Le changement s'était distillé, brisait la routine installée. Ali s'animait. Elle contourna le grand piano et ouvrit un petit secrétaire en cèdre. Elle tira quelques feuilles de papier et un stylo argenté puis revint sur ses pas, sa longue chemise de nuit blanche tournoyant légèrement à ses chevilles.

Le Manoir - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant