Chapitre 5

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Elle traînait des pieds dans le couloir de sa maison. Elle entendait des bruits de casserole dans la cuisine qui lui indiquaient la destination à prendre. Elle s'aidait du mur, s'appuyait dessus quand elle sentait ses jambes perdre de leurs assurances. Puis, elle arriva jusqu'à la table en bois, rongée par des bestioles, et s'installa sur le banc le plus proche.

— Bois de l'eau, recommanda sa mère au fourneau, dos à elle, il faut t'hydrater.

Elle lui déposa un grand verre d'eau rempli à ras bord et retourna à ses occupations. Elle tendit un torchon sur une chaise et s'attarda sur son enfant d'une mine attristée. Cheveux en pagaille, la peau sur les os, des cernes encore plus creusés que les siennes, le teint grisâtre, les lèvres gercées. Elle se détourna dès qu'elle eût fait le tour de l'état épouvantable de sa fille. Elle essuya une larme au creux de son œil gauche et remua son potage.

(T/P) avala ses médicaments à la vitesse d'un escargot. Chaque geste lui coûtait. Même l'eau qui coulait dans sa gorge l'irritait. Elle regrettait qu'à moitié sa folie de la veille. Elle se disait qu'elle en avait eu besoin et petit à petit, des brides de la soirée apparaissaient devant elle. Elle se rappelait d'une voix grave qu'elle connaissait par cœur. D'une chaleur qu'elle se refusait de quitter.

Elle ramena ses cheveux sales en arrière et leva les yeux sur sa mère, étrangement silencieuse. Elle pensait qu'elle lui en voulait. Elle venait d'accélérer l'heure de sa mort. Bien qu'elle n'avait pas tout à fait tort, sa mère pensait surtout à cet Erwin Smith et elle ne savait pas pourquoi elle s'attardait autant sur cet homme. Peut-être un soupçon de culpabilité l'habitait ? Non. Elle avait fait ce qu'il fallait faire pour sa fille. Maintenant, elles seraient ensemble jusqu'à la fin. Il n'y aura que la mort qui pourra les séparer...

— Maman... Qui m'a ramené hier ?

Le cœur de cette dernière se serra. Elle arrêta toutes activités. Une crispation que (T/P) ne loupa pas.

— Hier ? répéta-t-elle, c'était il y a deux jours. Je suis allée te récupérer au bar, un soldat m'a averti de ton état d'ébriété.

La soldate n'y crut pas un mot, mais elle passa outre ce mensonge. Elle était restée figée sur le début de sa réponse. Deux jours. L'expédition était prévue pour aujourd'hui. Une sortie de six jours. Lui restait-elle autant de temps ? Les pulsations de son cœur battirent la chamade. Elle détourna son attention sur l'extérieur ; le soleil se couchait. Le bataillon devait déjà être dehors.

— (T/P), qu'est-ce que tu fais ?

La jeune femme peinait à quitter le banc. Elle s'aida de n'importe quoi pour atteindre sa chambre. Elle attacha sa chevelure, se changea, enfila un manteau, ses chaussures sous les interdictions de sa mère à sortir d'ici.

— Je dois aller au QG. L'expédition débutait ce matin.

Sa mère leva les bras au ciel. Le bataillon. Le bataillon ! Toujours ce maudit bataillon ! À cause de cet homme !

— Tu veux pas oublier ce bataillon ! Dans ton état, tu serais incapable de monter à cheval.

— Je ne vais pas pour participer à l'expédition, rassura sa fille

— Alors pourquoi tu y vas ? Pour cet Erwin Smith ? Tu préfères être avec lui qu'avec ta mère ?

(T/P) termina de nouer ses lacets lorsque ses yeux s'arrondirent et ses oreilles s'ouvrirent à ce prénom. Elle ancra son regard dans ceux de sa daronne et dès cet instant, cette dernière sut qu'elle venait de commettre une erreur.

— Qu'est-ce que tu viens de dire ? Pourquoi tu viens me parler de lui ?

Sa mère pipa mot. Elle chercha une excuse qui lui permettrait de se sortir de cette impasse, mais sa fille insista.

— Maman, pourquoi tu me parles de lui ? haussa-t-elle la voix.

Elle se redressa de la chaise, le dos droit pour tenir tête à sa mère. Elle ne savait pas d'où elle puisait cette force, mais une chose est sûre, elle ne la quitterait pas tant qu'elle n'aura pas eu d'explications.

Au silence de sa mère, (T/P) craignit le pire et chuchota comme si elle avait peur de la suite.

— Qu'est-ce que tu as fait ?

La vieille prit sa question comme une injure. Un voile de froideur assombrit ses yeux ridés. Elle la pointa du doigt et lui balança :

— Mon devoir de mère. Je te protège de tout scélérat. Je n'avais pas besoin de comprendre pourquoi tu t'étais permis un tel relâchement. Cet homme n'est pas bon pour toi ! Aucun d'ailleurs !

— Ce n'est pas parce que papa t'a quitté de la plus lâche des façons que tous les autres feront pareil ! Erwin est un homme bien.

Et elle le pensait malgré le coup qu'il lui avait fait. En ce moment, elle se disait qu'il devait y avoir une raison à cette décision.

— C'est vrai. Il t'a tout de même ramené complètement ivre ici ! rigola-t-elle d'un rire jaune, quel gentleman !

Alors, c'était bien Erwin qui l'avait ramené ici. Il était entré dans sa maison... Imaginer le pire ne servait plus à rien. Il se réalisait à mesure que sa mère lâchait la vérité.

— Qu'est-ce que tu as fait ? demanda (T/P) en panique.

— Je l'ai mis au fait.

De grisâtre, son teint passa à une couleur blanche des plus inquiétantes. Elle accusait le coup sur ses deux pieds en ne s'attendant pas à ce que sa mère enfonce le clou le plus douloureux de sa vie dans son cœur.

— Et il a fui, conclut-elle plutôt fière d'avoir raison.

(T/P) quitta la maison en boitant, ses larmes ne ruisselaient pas sur ses joues, mais s'écoulaient dans tout son être. Elle marcha jusqu'au QG en effectuant plusieurs pauses pour reprendre son souffle et comme elle le pensait, les couloirs étaient vides. Quelques soldats traînaient avec l'ennui gravé sur leur faciès. En passant à côté du bureau du major, celui-ci sortit et s'étonna de trouver cette ancienne soldate devant elle.

— Major, le salua-t-elle tout de même

— Que faites-vous à rôder dans ce bâtiment, mademoiselle ?

— Je voulais savoir si le bataillon était bien parti.

— Ils sont tous partis au lever du soleil, répondit-il avant de la jauger des pieds à la tête, vous avez mauvaise mine, ne s'empêcha-t-il pas de lui faire remarquer.

Le major rajouta qu'elle devait profiter de sa liberté pour se reposer. Elle n'avait plus rien à faire ici, mais il comprenait que c'était dur de s'en détacher. Elle devait faire avec.

— Major, puis-je connaître la vérité de mon renvoi ?

Le vieil homme boudiné contourna la jeune femme et expira bruyamment comme si elle l'ennuyait. Il se gratta l'intérieur de l'oreille avec son gros doigt poilu et répondit :

— Vous n'avez pas cru à votre inaptitude ? rigola-t-il gentiment.

— Erwin n'aurait jamais dit cela me concernant, lui avoua-t-elle en s'offrant un peu de familiarité en utilisant que son prénom. Même vous.

— C'est tout à fait vrai. Toutes mes félicitations pour vous deux.

Il lui tourna le dos dans ce large couloir aux couleurs sombres. (T/P) quitta le bâtiment de son côté et s'assit au pied d'une fontaine avec un léger sourire qui lui permettait d'oublier ses courbatures quotidiennes, son manque de force. Elle caressait sa peau du bout de son pouce pendant que le vent s'engouffrait dans ses pores. Par moments, son cœur s'emportait lorsqu'elle pensait à ses derniers jours. Elle priait pour la première fois pour rester en vie jusqu'à son retour... mais surtout pour que, lui, reste en vie.


Ma femme // Erwin X readerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant