Tabatha taillait ses flèches. La veille, elle avait coupé une branche de hêtre, aussi épaisse que son bras. Ils avaient passé une nuit confortable, dans cet abri que Nicoleï avait déniché, isolé du vent froid.
Au matin, elle avait ravivé le feu et s'était mise à l'ouvrage pendant que Nicoleï travaillait ses exercices de Mecer. C'était la première fois que Tabatha avait l'occasion d'en fréquenter un au quotidien. Elle avait l'impression qu'il dansait, tandis qu'il décrivait de délicates arabesques avec son épée.
Et c'était beau.
Parfois, il s'arrêtait en plein mouvement, fronçait les sourcils, recommençait. Elle ne voyait aucune différence.
Quand il avait terminé, il nettoyait soigneusement ses armes avant de la rejoindre pour boire une infusion.
—Puis-je t'aider ? demanda-t-il en avisant le tas de brindilles mal dégrossies.
Elle secoua la tête.
—Non merci. J'ai l'habitude de les tailler moi-même, comme elles me conviennent.
—Quand reprenons-nous la route ?
—Dès que tu le désires. Tu étais épuisé, hier soir.
Le jeune Envoyé rougit.
—J'ai présumé de mes forces, admit-il. Invoquer les Vents me demande encore beaucoup d'énergie. Et sa trace est si faible...
Elle hocha la tête. Elle s'en était doutée. Le soir, après le repas, il s'asseyait, immobile, pour jouer avec les Vents. Au début, elle avait eu peur qu'il déclenche une catastrophe, puis elle avait osé quelques questions.
Et quand il lui avait demandé des idées d'exercices, elle avait répondu de son mieux.
Déjà quatre jours.
Quatre jours à avancer à dos de poney, à mettre pied à terre régulièrement pour vérifier leur piste. Nicoleï s'arrêtait, fermait les yeux, cherchait la trace du pouvoir d'Axel. Leurs empreintes étaient rarement visibles sur le sol rocheux, et ils devaient s'être rendus compte qu'ils étaient à leur poursuite.
Tabatha termina sa flèche, l'examina d'un œil critique avant de la glisser dans son carquois et d'attraper un autre morceau de bois. Il lui faudrait encore fixer la tête et l'empennage ; une chose à la fois.
Parfois, elle se demandait s'il était bien raisonnable de traquer Solarys à eux deux. Nicoleï était bien trop jeune, mais sans lui, elle ne pourrait pas suivre leur piste. Demander de l'aide ? Cela prendrait bien trop de temps. La route était loin, jusqu'à Orein. L'aller-retour leur prendrait des semaines. Solarys aurait largement le temps de s'évanouir dans la nature.
Non, elle avait pris la bonne décision. Son carquois rempli, il lui suffirait de le larder de flèches, à bonne distance. Sa sœur serait enfin vengée.
Ils avaient gagné du terrain sur Solarys et Axel, mais aujourd'hui, ils se reposeraient. Nicoleï faisait de son mieux, elle voyait bien qu'il était au-delà de l'épuisement. D'ailleurs, à peine avait-il fermé les yeux qu'il s'était endormi.
La vision lui arracha un sourire. Il était si jeune, encore. Elle façonna ses flèches, encore et encore, puis raviva le feu avec ses restes de copeaux de bois. Elle mit de l'eau à bouillir dans une petite marmite, s'inquiéta de leurs réserves qui s'amenuisaient. Ils ne restaient jamais bien loin du petit ruisseau, mais le paysage de pierres et de rocs, avec une végétation rase et éparse, était peu propice à la chasse. Il devait bien y avoir des proies – elle avait vu des rapaces qui tournoyaient dans les cieux, mais ils n'avaient pas pris le temps de poser des collets.
Si seulement Nicoleï avait été en état de voler... il aurait pu servir d'éclaireur, rapporter la présence de Solarys.
Et s'exposer seul au danger qui avait déjà eu raison de son ami ? Non, elle ne l'aurait pas permis. Solarys était redoutable, et ils devraient l'approcher avant autant de précautions qu'un serpent venimeux.
À midi, Nicoleï s'était réveillé. Ils avaient partagé un maigre repas, bu leur infusion revigorante. Après avoir rempli leurs gourdes et dispersé les cendres de leur feu, ils s'étaient remis en route. Vers le nord-ouest, une fois encore. Tabatha se demandait si Solarys cherchait à franchir les cols pour se retrouver à l'ouest des montagnes de la Colonne. Qu'espérait-il y trouver ? Eux n'avaient d'autre choix que de suivre leurs traces, par peur de les perdre.
Le terrain était rocailleux, traitre, ce qui les avait obligés à démonter, mais Tabatha appréciait l'air froid de l'altitude et qu'ils surplombent la masse de nuages. Au moins, ils avaient quelques rayons de soleil. Elle resserra son col de fourrure, jeta un regard à Nicoleï derrière elle. Son uniforme noir était poussiéreux et elle doutait qu'il soit aussi chaud que son manteau.
Ils avançaient depuis plusieurs heures, à un rythme qui les réchauffait alors que l'air s'échappait de leurs gorges en longs volutes argentés. Déjà la luminosité baissait. Bientôt, il leur serait compliqué d'avancer. Nicoleï s'arrêta, flatta l'encolure de son poney.
—Tu veux monter le camp ici ? demanda Tabatha, sceptique, alors qu'il n'y a rien, aucun abri ?
—Ils ont changé de direction. Je ne les sens plus.
Tabatha pinça les lèvres. Ça, c'était une mauvaise nouvelle. Et le découragement voutait déjà les épaules de l'Envoyé.
—Tu es peut-être juste fatigué, Nicoleï. Je sais que ça te coûte beaucoup, tous ces efforts.
Nicoleï secoua la tête.
—Non, c'est autre chose. Je... je le sens. Je n'arrive pas à l'expliquer, avoua-t-il piteusement.
Elle posa une main réconfortante sur son épaule.
—Arrêtons là pour ce soir, d'accord ? Cherchons de quoi nous abriter et voyons s'il y a quelques branches pour nous réchauffer durant la nuit.
Les rares buissons étaient trop maigres pour leur fournir autre chose que des brindilles ; ils ne pouvaient rester là.
—Il y a un bosquet de sapins, là, pointa Nicoleï.
Tabatha lui fit confiance : les Massiliens avaient une vue perçante, et certains étaient capables de voir dans l'obscurité, disait-on. Dans la pénombre qui s'était faite, ils redoublèrent de prudence. Des rochers saillaient parfois, invisibles, dans lesquels ils se prenaient les pieds. Plus d'une fois, Nicoleï la rattrapa, lui évitant la chute. Ses doigts étaient glacés.
Enfin, ils arrivèrent à l'ombre des sapins. Quatre arbres de petite taille, mais leurs aiguilles formaient un épais tapis à leurs pieds, et les branches basses les protégeaient du vent. Nicoleï en coupa plusieurs pour former un mur végétal contre le vent dominant, tandis qu'elle ramassait des branchages.
Ils bâtirent leur feu, et une joyeuse flambée les réchauffa. Tabatha sortit une épaisse couverture dont ils s'emmitouflèrent tandis qu'ils avalaient leur maigre repas. Encore du pain dur, de la viande séchée, et du fromage sec. Quelques gorgées d'infusion, brûlante, qui réchauffa leur corps et leurs mains engourdies.
—Demain, nous partirons tôt, décida Nicoleï.
Tabatha acquiesça, les paupières déjà fermées. Elle aussi, elle était fatiguée, ce soir.
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Les Vents du Destin (3)
FantasíaQue faire quand vos parents ont sauvé le monde et que votre soeur a l'oreille d'un Dieu ? Axel n'a que trop conscience des regards braqués sur lui, à l'affût d'exploits à la hauteur de la réputation de sa famille. Une pression qu'il juge insupporta...