Prologue

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 Finalement, c'est ce jour-là que tout s'est écroulé, que j'ai tout perdu. Dans un sens, c'était peut-être un mal pour un bien. C'était surement ce qui devait se produire, ce qui devait arriver, un point infini et inchangeable dans la chronologie de l'univers. En général, ce genre de choses, ça ne s'oublie pas. Pourtant, dans mes souvenirs les plus profonds, tout ceci n'est qu'un rêve...

Je dois avoir trois, peut-être quatre ans dans ce rêve. Au début, je joue avec une fille, qui devait être plus âgé que moi, mais de peu. Un an ou deux au maximum. Elle n'a pas de nom précis, ou tout du moins, il n'est jamais dit. Alors, quand je pense à elle, et à ce rêve, je nomme « Mon amie » ou encore « ma sœur ». Elle a de très longs cheveux bruns raides, lui arrivant vers le bas du dos. Ceux-ci semblent flotter dans cet air sans vent. Quand elle me regarde de ses grands yeux noisette, je ne distingue que de l'amour et de la tendresse, ainsi qu'une petite touche de fourberie et d'innocence enfantine. Pour ce qui est de moi, je ne sais à quoi je peux ressembler. Les miroirs ne font jamais parti du décor ou de l'environnement. Alors je me contente de l'imaginer, fort. La pièce dans laquelle nous jouons est grande, très grande, si grande qu'elle en devient presque étouffante. Ce qui m'avait frappé la première fois, c'était l'absence totale de tout. Hormis de grandes fenêtres, aussi hautes qu'un éléphant pour sûr, la pièce n'était un emboitement des quatre murs de pierres rudes, d'une couleur marron clair. Je n'ai jamais vu l'extérieur de ce bâtiment. À chaque rêve, qui ne change que très rarement, je ne sors pas de cette pièce. Et si j'en sors, cela signifie que j'ai rejoint mon propre cauchemar. Alors, quand je reste dans mon lit, regardant le plafond en attente de la sonnerie entêtante de mon radio réveil, je l'imagine de moi-même. Et, étonnement, il me semble toujours le même, et toujours si vrai. Celui-ci est toujours un sublime et majestueux château monté sur une légère colline, surplombant un village aussi beau que lui. Le village, lui, je l'ai vu de la fenêtre, entouré d'arbres aux feuilles verdoyantes et de puissants troncs. Dans les premiers temps où le rêve était apparu, j'avais à maintes fois tenté d'en découvrir davantage. Mais, chaque fois, elles m'en empêchaient.

Alors que mon amie et moi, dans nos robes de nuits aux couleurs des plus opposées -la sienne bleue et la mienne rose-, jouons dans cette immense pièce que je ne peux fuir, des bruits assourdissants et effrayants se font entendre de l'autre côté des murs de pierres. La petite fille et moi tournons alors la tête vers l'imposante double porte de chêne qui, pour le moment, nous protège des cris. Je lâche ma poupée aux cheveux d'or tandis que mon amie laisse tomber son cheval de bois. Elle saute sur ses pieds et attrape ma main pour se placer devant moi, comme pour me protéger. Elle me parle. Je le sais car ses lèvres bougent. Mais je ne l'entends pas. Le son sourd des explosions retentissant dans mes oreilles m'empêchent chaque fois d'entendre quoi que ce soit d'autre. Elle ne lâche pas ma main. Au contraire, à chaque coup sur la porte, elle la sert un peu plus en me sentant sursauter. Quelques fois, j'ai cherché une issue, un passage secret, quelque chose pour échapper à ce qui doit arriver. Aucune pierre n'a jamais bougé. Alors je suis condamnée à attendre. Mon amie ne le sait pas, mais moi je le sais. Quand on nous dira de fuir, elle disparaitra, tandis que je retrouverais la triste réalité du monde. Elle ne cesse pas de parler. Tente-t-elle de me rassurer ? Si c'est le cas, peut-être dois-je lui dire que je ne l'entends même pas. Nous ne bougeons pas, moi derrière elle, comme un bouclier inutile qui ne me protègera bientôt plus de rien.

Soudainement, le silence s'empare de la pièce. Mes tympans bourdonnent. Ils doivent se réhabituer au silence ambiant. La petite fille tourne la tête vers moi, me regardant avec un sourire qu'elle veut surement bienveillant et rassurant. Toujours ce même sourire que j'ai envie de lui arracher du visage, car elle ne sait pas, mais moi je sais. Nous sursautons à l'unisson quand la double porte s'ouvre avec violence, avant de se refermer tout aussi vite. Rien cependant de l'avait passé, hormis une femme, cette jeune femme, trente-cinq ans tout au plus, le cauchemar de mon merveilleux rêve. Elle reste un moment contre la porte, reprenant son souffle et retirant les petits cheveux bruns collé à son visage en sueur. Quand elle en a fini avec sa coiffure, elle délaisse la porte et se précipite vers nous en nous enlaçant dans ses bras. C'est mon moment préféré, celui où je me dis que, peut-être, il y a encore un espoir. Quand ses bras m'entourent, je me sens protéger. Elle ressemble beaucoup à la petite avec moi. Et comme je l'appelle ma sœur, je considère la femme comme une sorte de maman. Elle fait ça pour nous protéger, oui, mais je ne peux me résoudre à l'accepter. Des secondes semblables à des minutes s'écoulent avant que je ne retrouve finalement ma liberté de mouvement. La femme brune nous regarde une à une de ses yeux verts emplis de larmes. Je sais déjà ce qu'elle va nous dire. Et je sais déjà que je n'en ai pas envie.

-Les filles, commence-t-elle en s'accroupissant bien à notre niveau et en prenant un de nos mains chacune, Papa et Maman vous aiment fort, vous le savez. Mais il est temps. Il faut vous partiez, comme on a parlé ensemble d'accord ? Le monde des non-magiques est le lieu le plus sûr pour vous. On en a parlé on était d'accord. Et bien le moment est arrivé pour l'aventure. Tout se passera bien je vous le promets.

Mon amie et moi nous regardons alors. Nous savons toutes les deux de quoi elle parle, mais je n'en ai pas envie. Le monde sans magie ne m'intéresse pas. C'est celui-ci que je veux découvrir. Mais ce n'est pas cette nuit-ci que j'y parviendrais. La femme se redresse. Ces larmes n'ont pas disparu, bien au contraire. Celles-ci se mélangent avec les gouttes de son visage épuisé. Debout face à nous, elle lève sa main droite face à elle, formant un rectangle du bout de son index lumineux. Cette lumière disparait quand elle redescend sa main. Mon amie se tourne, je sais ce qu'elle y découvre. Mais j'ai peur et je n'en ai pas envie. Elle prend malgré tout mon bras et me fait me tourner pour apercevoir ce grand rectangle aux contours d'or et au centre blanc et aveuglant. Un portail, qui me conduira tout droit vers le réveil. Tous mes sens sont à l'affut d'une échappatoire inconnu. Mais la lumière m'aveugle, les explosions de l'extérieur m'assourdissent et ma gorge est nouée par l'angoisse. Je n'ai pas d'autre choix et je le sais. Mais je n'en ai pas envie.

Nous nous apprêtons à dire au revoir à la femme quand la porte s'ouvre de nouveau, restant cette fois-ci ainsi, laissant paraitre une vision dans le couloir. Des hommes en tenus de gardes, munis de casques et de lourds costumes noirs et gris sont au sol. D'autres, vêtus comme des civiles, ont subi le même sort. C'est une vraie boucherie et personne ne semble épargné, hormis une femme, aux cheveux blonds et aux yeux perçants de colère et vengeance, encadré de trois gardes en noir et munis d'armes à feu, se tenant tous à la porte fissurée. La blonde, du même âge -à peu de choses près- que la brune arbore un sourire des plus effrayants en faisant signe à ses sbires d'attaquer vers nous. La mère se pose devant mon amie et moi en levant les deux mains face à nous. Un grand bouclier d'énergie incolore nous englobe soudainement, bloquant les balles lancées par les armes des gardes. La brune tourne la tête vers nous, entre la tristesse et la panique.

-Il faut que vous y alliez, maintenant ! crie-t-elle à notre encontre. Je vous promets qu'on se reverra. Papa et moi nous vous l'avons promis. Mais pour cela vous devez aller vous cacher. On viendra vous chercher quand tout ceci se sera calmé !

Mon amie attrape à nouveau ma main me tirant vers le portail. Il faut y aller, mais je n'en ai pas envie. Une fois, je me suis prise une de ses balles. J'ai alors juré de suivre toujours le scénario tel qu'il était écrit. Mais je ne veux pas le suivre. Mais mon amie a plus de force que moi. Et, quand nous entrons dans le portail, je me sens apaisée. Le vide incolore autour de nous semble me couvrir dans un cocon chaud et rassurant. Je flotte au-dessus d'un grand rien, entourée d'une unique lumière blanche qui semble infini. Par l'ouverture du portail encore présente, je distingue les deux femmes, la blonde au-dessus de la brune. Je comprends ce qui va se passer, mais il est trop tard. Lorsque la lame de la blonde s'abat sur la brune, l'ouverture du portail se referme. Seul le vide m'englobe et me pèse lourd, si lourd que je tombe. Mon amie a disparu, je suis seule, de nouveau seule, et je tombe, les yeux clos pour ne pas être éblouie par cette lumière, encore, toujours, cette lumière.

Finalement, c'est ce jour-là que tout s'est écroulé, que j'ai tout perdu ; Mais dans le monde où je vis, personne ne le sait, même pas moi, la principale concernée. Car dans mes songes les plus lointains, ce jour où tout s'effondre n'est qu'un rêve me hantant chaque nuit. Et, pour moi, la seule chose s'écroulant ce jour-là, c'était mon corps tombant avec violence sur le sol de ma chambre, me réveillant dans mon sublime cauchemar.

La porte magique, le monde de la musique (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant