un père et une mer

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Autrefois, lorsqu'on discutait de la cruauté des enfants, je m'imaginais que j'avais de la chance.

À l'école, on jouait avec moi à cache-cache et à chat-perché. Lorsqu'on me parlait on ne m'offensait pas. Et, engourdie par ma bulle de bonheur, je ne m'apercevais jamais de ce qu'on pouvait faire subir à d'autres. 

Je ne voyais pas Billy, dont on riait parce qu'il aimait les poupées. Ni Nolan qu'on traitait de garçon manqué. Ni encore Lex, qu'on appelait Lex parce qu'il voulait qu'on l'appelle Alexandre mais que la maitresse persistait l'appeler autrement. 

Quand Tata et son costard sévère venait à la maison pour me garder, les jours où Maman B travaillait, je ne voyais pas la manière dont elle méprisait Barbara - l'une de ces collègues - parce qu'elle avait une voix de baryton. Ni celle dont elle critiquait Nicolas qui était trop secret sur sa vie. Ni encore son froncement de sourcils devant celui qui s'appelait Aurélien pour tout le monde sauf pour le patron et l'administration. 

Le mépris ne me touchant pas, je jouais les aveugles sans penser à réagir. 


« J'ai mangé le dessert de Billy, j'ai le bidon plein. J'ai dit un soir aux mamans parce que je cherchais une excuse pour éviter haricots verts. 

- Le dessert de Billy ? Il te l'a donné ? 

- Rose l'a eu, on a partagé. 

Je me souviens qu'elles ont échangé ce drôle de regard et que ça m'a ennuyé. Parce que c'était l'un de ces messages dont je comprenais qu'il signifiait une chose sérieuse et secrète que j'étais trop jeune pour comprendre et qu'on allait pas prendre la peine de m'expliquer. 

- Ça arrive souvent, que Rose prenne des choses à Billy ? A demandé Maman B, qui était toujours plus indulgente que Maman F. 

- Tout le monde prend des choses à Billy. 

- Et si tout le monde se jette par la fenêtre tu vas te jeter par la fenêtre ? » a contré Maman F. 

Mon autre maman a posé une main douce sur son épaule sans me lâcher du regard et sans effacer la grimace qui tordait sa jolie bouche. 

« La maitresse ne dit rien ? 

- La maitresse, elle fait jouer Billy avec des petites voitures. »

Et je me rappelle que le mardi d'après - il y avait télé parce qu'il pleuvait - mes mamans ont discuté avec la maitresse. Je ne les voyais pas très bien à travers la vitre parce que les gouttes d'eaux les rendaient floues, mais j'entendais des exclamations étouffées et elles avaient l'air en colère. 

Personne n'a plus jamais empêché Billie de jouer à la poupée ni volé ses desserts. Mais moi, j'ai compris ce qu'on entendait par "cruauté des enfants". 


On était hostiles envers mes deux mamans. Comme les enfants le font, on pointait leurs index vers mes parents à la sortie de l'école et répétaient ce que disait leurs parents aux sujets des amoureuses. 

Maman B a arrêté de venir me chercher, parce que ça la rendait triste. 

Maman F l'a remplacée. C'était nul parce qu'elle oubliait toujours mon gouter, mais c'était bien, aussi, parce que elle pensait qu'il valait mieux toujours expliquer les choses aux enfants plutôt que de les leurs cacher - contrairement à Maman B qui voulait me préserver de tout. Du coup, elle m'a expliqué qu'en général, les enfants avaient un père et une mère parce qu'en général, les garçons tombaient amoureux des filles. 

the future is non-binaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant