The Cossack's Inn

Chapitre 5

2 février 1927

Olga n'avait pas fermé l'œil de la nuit. La reprise du Cossack's, l'entretien avec Thomas Scott, l'arrivée imprévue d'Aby... Elle ne savait que faire. Et lorsqu'elle se leva aux aurores, le lendemain matin, elle n'était pas plus avancée. Presque mécaniquement, elle écrivit quelques mots à l'attention de la jeune fille qu'elle avait accueillie, posa le feuillet sur le comptoir et sortit de son auberge, en ayant bien pris soin avant de tourner le panneau du côté « fermé ». Après tout, son oncle était décédé voilà moins d'une semaine, personne ne trouverait étrange qu'elle prenne encore un peu de temps pour faire son deuil.

Tandis qu'elle se dirigeait vers l'est de la ville, tous les vices de Chicago lui explosaient à la figure. Les laideurs de la nuit se hâtaient de rentrer chez elle avant d'être brûlées par le soleil : prostituées occasionnelles, joueurs à l'air morose ou encore ouvriers imbibés d'alcool frelatés. Dans quelques heures tout au plus ils seraient à nouveau d'honnêtes citoyens vaquant à leurs respectables occupations. Elle passait entre ces ombres comme un fantôme, léger, sans rien dire, sans trop regarder tous ceux qu'elle croisait. Elle savait bien que dans les quartiers où elle était, plus encore pour une femme seule, un seul regard de travers pouvait déclencher une violence qui aurait raison d'elle.

Elle marcha de longues minutes. Le tramway aurait été bien plus rapide. Mais elle avait besoin de sentir le vent sur son visage, et le froid soleil du mois de février. Cela l'empêchait de songer à ce qu'elle allait faire. Une idée lui était venue. Une idée folle... Une idée pour laquelle elle allait risquait tout ce qu'elle possédait. Voire même sa vie. Et pour qui ? Une fille qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, qu'elle avait rencontrée moins de vingt-quatre heures plus tôt ? Décidemment, elle était folle.

Lorsqu'Olga commença à apercevoir sa destination, un long frisson la parcourut. L'Hawthorne Inn. La bâtisse de brique rouge suintait le crime et le vice par toutes ses briques. Mais elle n'avait plus le choix désormais. Et après tout, elle était Olga Kulikova. Elle était capable de le faire.

— Alors, ma jolie, on s'est perdue ? lança une voix graveleuse sur sa droite.

Olga lança à l'homme un coup d'œil féroce. Elle savait à quoi elle s'exposait en venant ici, mais s'y confronter était autrement plus désagréable. Une réplique bien sentie lui brûlait les lèvres, mais elle se força à l'oublier. Seule dans un tel coupe-gorge, ce n'était pas une bonne idée.

— Thomas Scott, tu connais ? répondit-elle à sa place.

L'homme ricana en la déshabillant du regard. Olga se sentit rougir mais resta ferme.

— Encore un de ses putes qu'il a oublié de payer, c'est ça ? Allez, toutes les semaines ç'en est une différente...

— Je ne suis pas une...

— Bah voyons ! Elles disent toute ça !

Olga sentit la colère monter en elle. Elle n'ignorait pas que certaines de ces femmes étaient poussées par la misère et n'avaient aucune autre solution que de vendre leur corps pour quelques dollars, mais qu'on puisse la traiter ainsi ! Et ce Scott, il l'avait bien eu avec ses beaux airs et sa galanterie d'un autre temps ! Il avait bon dos de lui faire des baisemains, si c'était pour aller s'encanailler quelques heures plus tard avec des femmes de petites vertus. Etonnamment, elle était autant en colère contre lui que contre cet homme qui venait de l'insulter.

— Je ne suis pas une prostituée, répondit-elle d'une voix glaciale. Je travaille avec l'Outfit d'égale à égal. Je suis la propriétaire du Cossack's Inn, que vous avez sans doute fréquenté si vous avez un jour traîné vos guêtres dans le centre de Chicago, et maintenant je veux parler à Thomas Scott.