A la nuit tombée

Cauchemar

Je n'en peux plus...

           Elle est assise au milieu de son lit, recroquevillée sur elle-même. Son cauchemar a commencé depuis des heures maintenant. Son visage est mouillé par les larmes qui ruissellent sans fin. Elle ne bouge plus. Si elle garde les yeux fermés, peut-être que ça va s'arrêter. Peut-être qu'elle arrivera à se convaincre que ce n'est rien, que c'est dans sa tête. Rien de tout ça n'est réel. Rien...

Tout est illusoire. Toutes ces choses qui m'entourent. Plus rien n'a de sens. Les échos sont si fort dans ma tête...Ils me rendent folle. Tu n'arriveras à rien dans la vie. Non, tais-toi. Je ne veux pas t'entendre. Je ne veux pas que tu joues avec moi comme ça. Laisse-moi tranquille. Laisse-moi...

           Comment en est-elle arrivée là ? Je vais vous le raconter. Cette jeune femme s'appelle Léana. Elle a un visage d'ange, des bouclettes brunes et des yeux noisette. Fraîchement diplômée de l'université, elle a commencé à travailler dans un cabinet d'avocat. En tant qu'assistante bien sûr. Mais elle est brillante. Elle l'a toujours été. Depuis sa plus tendre enfance, elle fait la fierté de sa mère. De petite fille parfaite, elle devint étudiante modèle. Sa famille n'était ni pauvre, ni riche. Ses résultats lui permirent de décrocher une bourse pour ses études de droit. Et puis, elle a ses amis. Ils se connaissent depuis si longtemps déjà. Elle a tout vécu avec eux, et inversement. Sur le papier, elle a tout pour être heureuse, elle a tout pour elle. Et pourtant...

           Ce soir-là, elle quitte le cabinet à 18h30, comme d'habitude. Et elle rentre chez elle. Le début de soirée se passe normalement. Elle déverrouille la porte de son appartement, enlève ses chaussures et se dirige vers son canapé. Elle s'allonge et allume la télé. Quand elle a faim, elle sort de son réfrigérateur un plat préparé à l'avance, le réchauffe, et le mange. Puis elle lit un livre jusqu'à ce qu'elle aille se coucher. Elle veille à y aller assez tôt, elle doit retourner au bureau le lendemain matin. Elle s'allonge, éteint la lumière et ferme les yeux. Et elle s'endort jusqu'à l'aurore. Mais certaines nuits, elle se réveille. Et avec elle se réveillent toutes ses angoisses, toutes ses peurs. Cette nuit-là, c'est ce qui va se passer. Dans son sommeil, elle transpire, elle gigote. De quoi rêve-t-elle pour avoir un air aussi apeuré sur le visage ? Elle se débat contre un ennemi invisible, par des coups saccadés à faible ampleur. Elle lutte tellement fort qu'elle finit par lâcher un cri de rage. Et ce cri la réveille. Nous y voilà...

            Elle rallume sa lampe de chevet, se lève et se dirige vers la cuisine. Elle se sert un verre d'eau, le regard vide. Tout est vide en elle. Elle a l'impression de flotter, d'être en apesanteur. Mais ce n'est pas un sentiment agréable. C'est effrayant. Parce qu'elle a conscience de ce qu'elle fait, de ses faits et gestes, mais c'est comme si quelqu'un, ou quelque chose, accompagnait chacun de ses mouvements. Elle retourne dans son lit, éteint la lumière et ferme les yeux. Mais elle ne se rendort pas. Pas cette fois. Il y a ce bruit qui l'en empêche. Un bruit aigu, très agaçant. Mais d'où peut-il bien provenir ? De nulle part, l'appartement entier est plongé dans le silence. Pourtant elle l'entend, si près de ses oreilles. C'est comme s'il l'entourait, comme s'il était partout. Au début elle attend, mais finit par perdre patience.

C'est pas possible, pourquoi ça recommence ? Non, ça ne peut pas recommencer. Ce n'est rien Léana, calme-toi. Mais je peux pas me calmer ! C'est pas possible...

           Ses ongles s'enfoncent dans sa nuque. Elle s'y agrippe si fort, mais le bruit persiste. Alors elle va essayer de penser à autre chose. Mais, est-ce réellement une bonne idée ?

Bon d'accord, ça ne va pas s'arrêter par magie. Je vais essayer de penser à autre chose, quelque chose d'agréable. Tiens, la dernière fois que j'ai vu maman. C'était quand déjà ? Ah oui, on a mangé au resto. C'était plutôt bon et puis le serveur était assez mignon. Roh mais t'es nulle Léana !

          Cette réflexion semble complètement sortir du contexte, pas vrai ? Et pourtant, ce n'est que le début.

Non arrête, ressaisis-toi. Où en étais-je ? Oh et puis ça sert à rien, je vois pas pourquoi je perds mon temps.

          La tristesse commence lentement à s'emparer d'elle. Mais d'où vient-elle ? Elle-même ne le sait pas. C'est un sentiment enfoui au fond d'elle. Parfois elle se dit qu'elle a toujours été là. Vous vous souvenez quand je vous disais qu'elle avait tout pour être heureuse ? Il faut croire que parfois, ce n'est pas suffisant. Comment sa mère aurait pu le deviner ? Elle n'a jamais faibli. Comment ses amis auraient pu le voir derrière son sourire ? Il l'accompagne du matin au soir. Elle cache au monde sa peine. Mais pourtant elle est réelle.

Je ne mérite tellement pas tout ce que j'ai. Je suis une horreur. Je ne comprends pas d'où vient ma détresse. Peut-être que je l'invente. Mais oui c'est ça ! C'est de ma faute ! C'est à cause de moi que je me sens aussi mal. Putain, mais qu'est-ce que je suis conne. Voyons Léana, tu as toujours tout eu, alors qu'est ce qui ne va pas hein ? Qu'est ce qui fait que tu es là dans ton lit à chialer comme un gosse ? T'es pathétique. Vraiment ridicule.

           Et sa tristesse se transforme en colère. Une colère profonde contre elle-même. Et lentement, cette colère se dirige vers le monde entier. Envers toutes ces injustices. Envers tous ce gens qui sont heureux.

Pourquoi ils ont le droit d'être heureux et pas moi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Je comprends pas ! J'ai toujours lutté contre les mauvaises choses qui sont en moi. J'ai toujours ravalé ma colère et ma peine. Je l'ai caché au monde entier pour ne blesser personne. Je n'ai rien dit à ma mère pour ne pas casser l'image qu'elle a de moi. Si elle savait, elle ne serait plus aussi fière. Peut-être qu'elle ne m'aimerait plus de la même façon. Elle voit en moi une personne douée, mais si elle apprenait ce qu'il se passe dans ma tête actuellement, peut-être qu'elle me prendrait pour une folle. Peut-être que je suis folle...