TW: drogue, maigreur, mort, sang.
**
Quelques pas hésitants se battent pour savoir si cela sera le gauche, ou le droit, qui mènera la danse finale. Les faisceaux lumineux s'échappant des lampadaires couverts d'insectes en quête de chaleur, éclairent ce défilé délirant d'orbes interdites et d'extravagances blasphématoires. Néons et ultrasons ne sont pas de la partie, seuls la lumière jaunâtre de la rue et l'ombre des ruelles se départagent toute la luminosité nocturne de la ville. Des corps sans vie déambulent aux croisements, les visages tournés vers le sol, une démarche collective rapide et nerveuse. La croisée des rêves est la ville bruyante recouverte d'un drap noir parfumé de senteurs toxiques, elle accueille la lenteur des corps, l'effervescence des âmes et la possession des cœurs. Un catwalk vaporeux enfantant des clones envieux, accaparés par le Démon du Mieux. L'apogée du songe, la démence totale, perte de contrôle ultime de l'organe vital, transformation de réminiscences en de douloureuses visions illustrant nos pires angoisses. Quand avoir la tête sur la Lune veut finalement dire que l'espoir nous va bien au teint. Monde de seconde main, celle avec laquelle elle tient le poignard ensanglanté, l'arme du crime. Monde sans demie-mesure, l'inverse de notre Terre où les humain•e•s se transforment en monstres sans morale ni raison, où la lumière bleue ne suffit plus à révéler l'empreinte des coupables.
**
Démarche branlante, manteau de fourrure brune, escarpins vernis et collants immaculés, voici l'accoutrement du diable dans ce monde où chaos et dévotion lubrique s'allient. Les artistes de la Terre Verte se relèvent être de furieux cannibales une fois la Terre Noire tombée. La lune joue le rôle du soleil dans cet environnement dépourvu de bienséance, qui ne laisse place qu'à la dépravation et à la consolation par l'envie des autres. Les musiciens troquent leurs instruments pour des néons effrayants et des sons synthétiques envoûtants. Les nuages frôlent le sol et défilent un à un sur la grande avenue éclairée par les panneaux publicitaires ; ils illustrent toute une conception du diable noble, du corps publicitaire, du corps modèle, de ce même corps qui portent les œuvres des créateur•rice•s les plus influent•e•s. La démarche droite, les épaules relevées, le menton haut et le regard vide, voilà la parade nuptiale des nuages gorgés de suie qui enchantent tous les yeux de cette Terre Noire. Squelettes alléchants qui dictent la consommation des insomniaques abruti•e•s par les substances reines de la nuit. Teint pâle et cheveux de paille, le paraître détient une importance, maître de tant de cervelles obnubilées par les néons bleu cyan. Le cuir chevelu rongé par la famine d'une âme vagabonde, les ongles renfermant les écumes d'heures passées à gratter les murs de plomb. L'eau n'est présente que sous-forme lacrymale. Le breuvage gagnant n'est que liqueur et éthanol pur. Les organes internes esquintés chantent en chœur la mélodie souffrante de l'abandon éternel. L'or blanc n'est pas présent dans leurs larmes acides, mais est blottit au fin fond de leurs narines. Celles des matons qui épient nos couloirs, dans ces nuits folles, dans ce climat lourd et entêtant. Chaque pas erroné est annoté d'un geste vif, brossant la crinière d'un lion enfermé dans une cage de diamant; ramenant la mandibule corrodée derrière l'oreille sensible du fauve truffé de sédatifs. Dans cette compétition, les participant•e•s sont psychotiques, leurs yeux vacillent entre le rouge et le blanc, leurs paupières tremblent, leurs lèvres gigotent et leurs langues transpercent la vérité. Voilà un concours bien inquiétant, celui où il n'y a pas de vainqueur. Les clones s'éteignent étrangement les uns après les autres, ils tombent à la file indienne, comme de vulgaires dominos. Une épidémie de compétitivité les emporte sans cesse, elle attaque leurs cerveaux, les affame, les bourre de pilules vertes, les oxyde de l'intérieur sans pitié. Jamais aucun des participants de ce concours infini n'a pu survivre aux ravages du Démon du Mieux. Le souffle puant qui s'échappe de ses cadavres mort-nés remue les tympans des passants titubant sur les trottoirs ; ce souffle est délivré par les passages nerveux de voitures bases et allongées, parées de lumières flashy qui creusent leurs carrosseries étincelantes. Les globes oculaires virevoltent quand l'accélérateur vrombit, le pot d'échappement s'enflamme. Le carburant de ce triste manège n'est rien d'autre que du sang humain déminéralisé. Ses courbes sont trompeuses, ses roues sont tranchantes et ses vitres sont des portails menant instantanément vers la perdition. Les vrombissements de leurs moteurs s'échappent de façon croissante de leurs carapaces impressionnantes et donnent du cachet à cette ville surplombée d'une nuit assourdissante. La lenteur des pas des passants plombe cette mélodie creuse, le thème dansant qui frôle les tympans des monstres de sortie décroche leurs mâchoires usées. Cette course contre la montre, cette quête immortelle du soleil vif et brûlant entête les humanoïdes citadins. La cocaïne s'accapare leurs cervelles et booste leurs pulsions meurtrières, sang et rage coulent à flot dans ce monde alternatif, à l'abri des regards justiciers de la Cour visible uniquement à la lumière du jour. Ce défilé compétitif assoiffe les esprits et dévore les carcasses droguées. Projecteurs et fards à paupières ensorcellent les pupilles et les dilatent tellement qu'elles se décrochent de leurs maîtres et deviennent des astres indépendants, circulant en orbite, autour de la risée de ce concours punitif. Le contrôle et l'apparence sont de la partie, de nombreuses pesées s'enchaînent les unes après les autres, le poids, l'influence, la popularité, le gramme de drogue pour maintenir nos yeux écartelés toute la nuitée. La brosse à cheveux, le parfum, les paillettes, tout est bon pour attiser le regard curieux et envieux de nos paires affamé•e•s, autant affamé•e•s que nous-même. La répétition n'est pas à blâmer dans un univers où elle est maîtresse du sablier, elle rassure, elle endort, elle creuse les tombes et y pousse des êtres à moitié vivants. La redondance apaise les mœurs et caresse les extravagances dans le sens du poil, même poil fumé par le laser méticuleux de ce satané Démon du Mieux. Sur la Terre Noire, ce ne sont plus que les seniors qui radotent, mais la population entière ensevelie sous les publicités accablantes qui martèlent les consciences salies. L'argent s'écoule des nuages comme l'eau sale ruisselle dans les montagnes, au fin fond de ce décor pollué par le capital aux néons de feu. Les démarches se brisent sous le flux de billets qui s'entassent sur les crânes effacés des mannequins endoctrinés. La lune noire sème la pagaye dans l'alignement des astres nocturnes purulents. Un synthé en guise de cloche pour sonner le couvre-feu ultime, la menace d'une mort imminente, presque instantanée, de la ville effarouchée. Plaisir et désir chantent ensemble, leurs voix vaporeuses s'échappent vicieusement des caissons, jonchés aux quatre coins de la ville bleue. Piano électrique aux paroles effervescentes détruit les monts, fait trembler ce sol composé de nombreuses couches d'acide sec. Crevasses et failles malmènent le bonheur qui s'échappe des nids d'amour, distribués dans l'immensité des appartements clonés. Le tonnerre raisonne ce soir, dans la ville aux mille attentes, aux mille projets, aux mille déceptions désavouées. Et au loin, c'est mon cri que l'on entend, celui qui paraît sourd, étouffé, presque mort. Je cris, oh diable que je crie ! De toutes mes forces, depuis l'encolure de chacun des millimètres de mes tripes vieillies par le jeûne, je hurle. Voilà que depuis des années je n'avale plus rien, pas même de l'eau qui ici n'est qu'un ramassis de saletés innombrables et indéfinissables. Plus rien ne pénètre mes pores. Sauveur entend-moi, je te sustenterais de mon âme encore intacte, je t'offrirais mon soleil, ma lumière. Elle te sera si précieuse dans cet univers où la lumière n'est qu'impureté et disgrâce, je t'offrirais mon innocence en gage de pardon. Recoudre mes plaies chimiques, voilà ma doléance.
VOUS LISEZ
Sélenophonie n. f.
Short StoryMéli-mélo de courtes nouvelles toutes inspirées de genres musicaux différents, peignant ensemble un univers morcelé. À la croisée d'une dystopie, de science-fiction et de poésie, ces écrits sont à apprécier dans un environnement calme et sombre. N.B...