Chapitre 30

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- Etes-vous une entité bienveillante ?

La connexion est toujours présente même si je décide de la mettre de côté pour consulter Christine. Mes larmes ont commencé à se stopper, les soubresauts se font moins nombreux, je décèle de mieux en mieux sa tenue. Elle porte une sorte de serviette sur la tête, je n'arrive pas vraiment à comprendre ce qu'elle porte mais cela doit être d'époque. Sa tenue est plus facile à déchiffrer. Elle porte un gros collier qui me paraît être en or, qui met en avant son décolleté carré à bordure noire. Des points noirs décorent toute sa robe blanche rendant encore plus impressionnant son aspect de fantôme. Des manches longues évasées tombent le long de ses bras, bougeant au moindre de ses mouvements. Je la vois hésiter, elle incline brièvement la tête vers la gauche puis vers la droite. Sa poitrine se gonfle et elle laisse échapper un long souffle. Ce n'est qu'après cela, qu'elle se penche pour saisir de nouveau ma main.

"Oui."

Même si la douleur mentale s'est évaporée, la physique est toujours présente. Je respire toujours aussi fort comme si je venais de courir un marathon. Je fais tourner mon poignet de droite à gauche m'indiquant avoir écrit de nombreuses pages. Je laisse Christine mener la conversation et me concentre pour ne pas m'effondrer. Je suis présente mais pas réellement, je ne suis qu'un pantin. Ecrivant les réponses aux questions que Christine pose et instaurant un climat de confiance, laissant glisser mon stylo à son gré sur le papier.

J'apprends de nouvelles choses à chaque instant, la douleur lorsque Jeanne répond à une question sur son passé me terrasse. Je dois faire un effort surhumain pour contrôler les larmes et les images qui se déroulent dans ma tête. Ce ne sont que des fragments mais je ressens toute la peur ressentie par Jeanne, ce n'est pas de la simple peur mais de la terreur. Je la vois courir dans cet escalier, pleurant et suppliant une personne que je ne vois pas. J'ai l'impression que l'on me plante un coup de couteau lorsque je la vois s'approcher de la fenêtre devant laquelle je me trouve. Elle regarde de gauche à droite, pétrifiée. Je sais ce qu'elle s'apprête à faire et je prie de toutes mes forces pour me tromper. Elle me regarde, en tout cas j'en ai l'impression, j'entends des pas se rapprocher puis je note dans son regard un changement : la détermination. Elle se jette dans le vide et je ressens toujours autant sa peur qui se coupe brusquement lorsqu'elle atteint le sol.

- Mat, Christine me ramène à l'instant présent en me servant d'ancre.

- Mmmmh ?

C'est la seule réponse que je peux fournir.

- C'est bon, c'est le moment de la faire passer. Tu t'en sens capable ?

Absolument pas. Mais il est impossible pour moi de laisser cette femme dans ce lieu lui rappelant tant de souvenirs et sa mort horrible. Je m'éclaircis la gorge en me concentrant pour augmenter ma lumière visible.

- Oui, je lui tends la main pour effectuer la connexion.

Elle réagit aussitôt en se reculant et se protégeant les yeux. Il lui faut quelques secondes pour se reprendre et me tendre sa main en tremblant. Je tente de lui faire un sourire pour la rassurer même si je sais qu'elle ne pourra pas le distinguer à travers toute la lumière que je projette. Lorsque la connexion se fait, la brûlure est insupportable. Je me retiens d'hurler de douleur et de retirer ma main, je peux le faire, je peux y arriver. Au fur et à mesure, je la vois se dissiper. Ma respiration devient trop saccadée, j'ai l'impression d'étouffer et de brûler, le seul moment de répit est lorsque Jeanne passe à travers moi. Sa disparition est la dernière chose que je vois lorsque je m'évanouis.

Lorsque je me réveille, je me redresse rapidement et fais glisser la couverture de survie dorée qui fait un bruit désagréable. Dès que je suis apte à me lever et que Christine arrête de s'inquiéter et de me disputer sur mon état, nous repartons. Je ne vais pas dire que je suis en pleine forme, mon niveau d'énergie est au plus bas comme si je n'avais pas dormi depuis plusieurs jours. J'ai tout de même réussi à faire passer Jeanne et c'est la plus grande satisfaction que je puisse avoir. Mon t-shirt est trempé de sueur, mes cheveux sont collés dans ma nuque et sur mon front. Mon amie me sert de soutien en mettant mon bras gauche sur son épaule pendant la longue descente de l'escalier, nous sommes vigilantes à chaque pas. Nous n'échangeons pas, le bruit de nos respirations et de nos pas rythment notre descente.

Je suis dans l'incapacité de conduire, nous aurions dû partager une voiture. Nous venons de sortir de l'enceinte, le soleil se lève dans notre dos montrant sous un nouvel angle le château. L'atmosphère est beaucoup plus légère, l'air est respirable donnant une seconde vie à cette demeure. Le temps s'est véritablement évaporé pendant cette excursion. Elle m'ouvre la portière passagère de sa voiture et me laisse m'installer pendant qu'elle va vérifier que je n'ai rien laissé d'important dans mon propre véhicule. Je suis tellement éreintée que je fixe l'horizon et le levée du soleil sans réfléchir, mon cerveau est vide, j'ai l'impression de voir tout en accéléré. Christine croise avant de rentrer dans sa voiture le maître des lieux. Elle remet ses cheveux en arrière et lui montre mon véhicule avec un grand sourire. Elle échange quelques minutes avec lui tout en rigolant en lui touchant le bras. Je n'entends pas un traître mot de leur échange. Ce n'est que lorsqu'elle se retourne après avoir ouvert la portière que j'entends son merci.

Durant le retour nous n'avons pas échangé un seul mot. 

Haunting MatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant