COMBAT ET TRÉPAS

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La scène se passe dans une cellule. Au milieu des murs de pierre froide, un homme est assis en tailleur au sol, le visage incliné sur la poitrine, avachi. Deux balançoires pendent du plafond. Sur la première, un homme se tient debout, le visage féroce, une épée à la main. Sur l'autre, un second homme se tient assis, les pieds balançant dans le vide, tenant une longue faux. Un homme en noir, dans un coin de la pièce, prend la parole.

CHOEUR

Chers spectateurs, l'homme que vous voyez
Vient à l'instant d'être jugé
Et inévitablement condamné.
Cependant, cet homme, Julien, voulant sa réputation préserver,
Refuse de faire appel, malgré les suppliques
De ses amis qui le savent pacifique.
Il est bientôt trop tard, et sur son cas se penchent
Deux hommes que vous connaissez. Foule ! Sois franche !
N'as-tu jamais été tiraillée entre le fougueux Combat,
Et l'inévitable et pourtant si doux Trépas ?

COMBAT

Je me demandais, oui, je me demandais,
Pourquoi cet homme en qui j'ai foi, que je connais,
Pourquoi cette âme noble et fière, si belle,
Contre toute attente refuse de faire appel.
Je comprends mieux maintenant que je te vois.
Il a été attiré par l'irrésistible Trépas.

TRÉPAS

Vous vous trompez de vocabulaire, il n'a pas été attiré,
Mon ami, mais m'a de toute son âme désiré.
Qu'il se l'avoue, qu'il ne se l'avoue pas,
Il veut en finir avec la vie, et voilà.

COMBAT

Quelle idée grotesque, insensée !
Où avez-vous donc trouvé cette pensée ?
Julien n'a que vingt-trois ans,
Et vient d'obtenir un titre flamboyant !

TRÉPAS

Est-on plus prêt à mourir, étant âgé ?
Est-on alors plus préparé à cesser d'exister ?
Tout comme la valeur n'attend point le nombre des années,
Je vous l'affirme, Julien veut trépasser.
Il souhait quitter la société qui l'a opprimé,
Il désire laisser les hommes qui l'ont sous-estimé.

COMBAT

Et pourtant je la vois dans son cœur, cette ambition,
Cette recherche de bonheur, cette passion,
Cette faim dévorante qu'il a pour la vie,
Ce besoin de voir et de sentir plus, à l'infini !

TRÉPAS

Ne distinguez-vous pas, derrière ce feu,
Une fatigue immense sans aveu ?
Fatigue de se battre constamment,
Fatigue il y a, même s'il se ment.
Malgré son jeune âge, Julien a tant vécu,
Qu'il aspire au repos, qu'il n'en peut plus.

COMBAT

La vie est comme la Terre, pleine de montagnes à gravir,
Mais derrière chacune d'entre elles, la vue est à ravir,
Et la fatigue, oui, la fatigue de la montée,
Ne rend la descente que plus douce, plus appréciée.

TRÉPAS

À force de monter et de marcher,
Un jour, ses jambes ne pourront plus le porter.
Et je le dis, je le clame, que ce jour est arrivé,
Le jour où Julien rendit les armes, fatigué.

COMBAT

Tant qu'il reste une étincelle dans nos yeux,
Une bulle d'air dans nos poumons souffreteux,
Tant qu'il reste une goutte de sang dans nos veines,
Une goutte d'énergie pour oublier notre peine,
Nous devons nous battre pour nos convictions,
Nous devons nous battre, oui, continuons !
Continuons de gêner nos oppresseurs,
De les faire trembler, crier, de leur faire peur,
Jusqu'à enfin de leur piédestal les faire tomber,
Car c'est notre devoir, en vérité.

TRÉPAS

N'y a-t-il pas de devoir plus grand,
Oui, n'y a-t-il pas d'acte plus éloquent,
N'y a-t-il pas de courage plus immense,
Oh, n'y a-t-il pas de décision plus intense,
Que de mourir, en maître, en roi,
Que de mourir pour ce que l'on croit ?

COMBAT

Vivre est un devoir plus grand, plus immense,
Vivre est un acte plus éloquent, plus intense,
Vivre pour se battre, toujours,
Vivre pour souffrir, et couper court
Aux brimades de ceux qui traitent d'idéalistes,
Aux messes basses de ceux qui ne nous pensent pas réalistes.

TRÉPAS

Vous parliez d'une âme noble et fière,
Belle, et je n'ai fait aucun commentaire.
Oui, Julien a une âme exaltée,
C'est pour cela qu'il ne peut rien de la vie désirer.
Car la vie, sans fard, est toujours un compromis,
Une lutte pour le matériel, la faim, le froid, l'envie,
Un cycle où chaque réussite, chaque écart,
Ramène inévitablement au point de départ.
Julien a les ressources pour s'élever,
Mais les grands sont-ils moins souffrants, moins affamés ?
Oui, la vie est un cycle infini de luttes stériles,
Dont la seule issue honorable est de partir avec style.

Sa voix est coupée par des bruits de pas dans le couloir.

CHOEUR

Les aiguilles avancent, le sable tombe,
Et bientôt Julien ne sera plus de ce monde.
Il a fait le choix de suivre Trépas,
Auriez-vous préféré poursuivre Combat ?
Chaque individu est face à ce dilemme confronté,
Que vous dictera votre cœur ? Écoutez.

Le Triptyque des DilemmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant