PARTIE III - PIPPA

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Pippa regagna King Cross à la nuit tombée. Veillant à ne pas lâcher son imposante valise, elle se présenta au guichet de la gare afin de prendre le premier train qui l'emmènerait loin de Londres. Pleine d'espoir. Jusqu'à ce que ces quelques mots le réduisent à néant.

— Il n'y a plus de train ce soir, charmante demoiselle, l'informa l'agent. Le dernier départ est intervenu il y a une demi-heure.

Il se pencha en avant, ne cessant de lui faire des clins d'œil.

Mais Pippa ne prêta pas attention à ses avances, trop occupée à se mordre la joue. Elle n'avait pas songé à cette éventualité. Sa fuite était vouée à l'échec. Pourtant, elle ne se résigna pas pour autant. Elle ne pouvait pas rester ici plus longtemps. Qu'elle tire un trait sur cette vie laborieuse.

— Quand partira le prochain train ? Insista-t-elle.

L'homme redressa ses lunettes et consulter le registre.

— A six heures demain matin.

Il lui adressa son plus beau sourire, dévoilant ses dents jaunies par le tabac.

— Parfait. Je vous prends un billet.

Elle fouilla dans son portefeuille et lui tendit l'unique billet en sa possession. Dans la précipitation, la jeune femme avait oublié d'emporter ses maigres économies.

Elle longea les rails puis s'allongea sur un banc. Pour la première fois en vingt ans d'existence, elle s'apprêtait à passer la nuit dehors. Ne comptant plus être un poids pour quiconque, ni pour elle-même, elle ferma les yeux.

– Vous ne pouvez pas rester ici, Mademoiselle, la secoua le chef de gare, un homme grisonnant, portant fièrement la moustache. Cet endroit n'est pas un lieu de pénitence pour les sans-abris. Rentrez chez vous, trouvez refuge chez une amie. Mais par pitié, partez.

Pippa se releva, déconfite. Le vent lui fouetta les joues. Elle recoiffa à la va vite sa chevelure emmêlée et quitta les lieux, malgré elle. Elle erra un long moment puis elle s'engouffra dans une étroite ruelle faiblement éclairée. A l'exception d'éclats de voix émanant des bars environnants, pas un bruit ne vint perturber cette nuit calme. Pippa pressa le pas et ses talons claquèrent de plus belle contre les pavés. Le cœur battant à tout rompre, elle atteignit Caledonian Road. Elle se fraya un passage parmi un groupe de promeneurs et trouva refuge dans une cabine téléphonique. Elle ne voyait qu'une personne susceptible de lui prêter main forte : Poppy. Mais les deux femmes ne s'étaient pas adressées la parole depuis l'été dernier. Trop occupée à dissimuler son état, elle avait négligé leur amitié. Elle avait agi égoïstement. Cela ne faisait aucun doute. Pippa s'empara du combiné sous le regard d'un couple d'étudiants. Apercevoir une jeune femme seule, au beau milieu de la nuit, bagages à la main n'avait rien d'habituel. Pippa le comprit à l'instant où son regard croisa celui de ces jeunes gens proprets. De futurs intellectuels à qui l'avenir souriaient, prochainement diplômés en lettres ou en droit. Le pays avait besoin de ces personnalités. Des âmes prêtes à changer le monde, regorgeant d'idéaux, de rêves de grandeur et de liberté. Pour jouer dans la cour des grands, il fallait s'en donner les moyens. Ce que Pippa n'avait jamais oser faire. Par peur de décevoir ses proches. Un non avait suffi à la dissuader de prendre cette route. Elle aurait pu se battre, faire tout ce qu'il était en son pouvoir pour atteindre ses objectifs. Mais elle s'était laissée mener à la baguette comme une petite fille, sans prendre la peine d'affirmer ses convictions. Ce couple symbolisait amèrement son échec. Ils étaient tout ce qu'elle n'était pas.

La gorge nouée, Pippa composa le numéro des McGill. Par où devait-elle commencer ? S'excuser ? Ou bien devait-elle faire l'autruche ?

— Allo ? répondit une voix tremblante. Robert McGill à l'appareil.

EN SUSPENS - La folle histoire de Pippa AndersonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant