Chapitre 1

196 21 7
                                    

- Monsieur Santorski ?

Une main pâle se leva, fendant lentement l'air de l'amphithéâtre dont la majorité des étudiants s'étaient tournés vers le concerné.
Celui-ci était enfoncé dans son siège avec négligence, un bras posé sur son torse et le visage dissimulé dans l'ombre de sa capuche grise.
Alors qu'il relevait la tête en direction de son professeur, son visage s'éclaira peu à peu.

- Je suis là. Répondit-il d'un ton assuré.
- Puis-je savoir quand est-ce que vous rendrez votre devoir sur Les Confessions de Rousseau ? Demanda le quinquagénaire tout en écrivant sur le grand tableau.

L'adolescent croisa ses bras sur son torse et leva discrètement les yeux au ciel. Il tourna la tête vers son ordinateur portable, le regard vide, et finit pas répondre.

- Quand je l'aurais terminé, Monsieur.

- Et bien je vous conseille de vous dépêcher car vous êtes le seul à ne pas me l'avoir rendu. Il vous reste quelque chose comme..

Il plia son bras et jeta un œil à sa montre avant de poursuivre, d'un air narquois.

- ...Quatre heures, avant le zéro pointé.

Le brun s'avachit dans son siège, consterné. Un soupir d'agacement s'échappa de ses lèvres, qu'il pinça, contrarié. Alors qu'il lançait de discrets jurons, des ricanements se firent entendre autour de lui.
Il n'eut qu'à lancer un regard noir à ses voisins de derrière pour qu'ils se taisent d'un seul coup. N'ayant aucune envie de terminer le devoir qu'il n'avait en réalité pas commencé, l'adolescent ferma les yeux et bascula la tête sur le dossier de son siège, le haut du visage caché sous sa capuche.

Le professeur de littérature avait tendance à lui rendre la vie difficile, sachant pertinemment que même si Gabriel rendait ses devoirs au dernier moment, il s'avérait que ses écrits étaient les meilleurs de la classe.

Les minutes défilaient, survolaient les textes de Baudelaire, Hugo, Voltaire, qui rentraient pas une des oreilles du brun et sortaient par l'autre.
Il était le genre de gars naturellement doué en classe, sans avoir besoin d'être attentif ou de travailler.

18:00

La sonnerie du lycée retentit, et ce fut le signal de départ d'un troupeau de bisons prêt à reprendre leur liberté.

Les élèves quittèrent l'amphithéâtre (qui est d'ailleurs le seul de l'établissement, principalement constitué de salles de classes), sauf Gabriel, qui s'était assoupi sur son siège, chose habituelle pour lui le vendredi soir.

- Debout mon grand. Il est dix-huit heures.

La main du professeur vint doucement agiter l'épaule de l'endormi. Les yeux de Gabriel papillonnèrent le temps de se réhabituer à l'éclairage, puis il se passa une main sur le visage, réajusta sa capuche et rangea ses affaires dans son sac pour sortir en vitesse, soulagé d'avoir un professeur aussi compréhensif.

- Merci monsieur, au revoir.

18:30

Les mains enfoncées dans les poches de son jeans, le jeune homme marchait nonchalamment à travers les couloirs de l'établissement. Il souffla sur la longue mèche sombre qui lui retombait devant les yeux, puis tourna la tête, se sentant soudainement observé.

- Qui que tu sois, casse-toi. Lâcha-t-il sèchement.

Il plissa les yeux, n'arrivant pas à distinguer la personne dans l'ombre.
La silhouette d'une jeune fille de taille moyenne se dessinait vaguement dans l'encadrement très sombre de la porte. Celle-ci semblait se cacher.
Très mal, en effet. Elle restait immobile, juste devant lui, et ça en était presque inquiétant.
Il se pencha légèrement.

- Allo ?

Il resta impassible devant cette silhouette floue et finit par se retourner et continuer son chemin sans se poser de questions,
veillant à bien isoler son visage joliment dessiné sous la capuche de son sweat-shirt en tirant dessus.
Alors que des pas se faisaient entendre derrière lui, il accéléra les siens sans se retourner.
Le jeune homme s'en fichait royalement.

Il déposa son devoir sur le bureau du professeur de littérature et monta les grands escaliers de marbre pour rejoindre la chambre d'internat qu'il partageait avec un garçon aux cheveux châtains. Une odeur de joint flottait dans la chambre et le brun toussa à l'instant où il ouvrit la porte.

- Bonsoir, monsieur le cadavre. Plaisanta le châtain en voyant Gabriel entrer.

Ce surnom faisait bien sûr référence à son teint pâle, son manque d'expressivité et ses conversations quasi inexistantes.

- Salut, fumeur de pétards. Articula-t-il difficilement.

Ces quatre mots étaient les seuls qui sortiraient de la bouche de Gabriel pour la soirée.
Il balança son sac dans un coin de la pièce et s'allongea sur son lit, avant de saisir son carnet noir en soupirant de soulagement comme s'il attendait ce moment depuis le début de la journée.

|Vendredi 16 février|
19:00

Alex fume, comme d'habitude. Je te raconte même pas l'odeur qu'il y a dans la pièce.
Et dire que cette saloperie de fumée rentre dans mon nez et mes poumons. J'vais crever d'un cancer avant même d'atteindre l'âge où tu ne sais plus pisser droit à cause de lui.
En plus, cette fumée-là détruit les neurones alors j'risque de ne plus savoir pisser droit, bien avant l'âge habituel, et de crever du cancer, sans neurones. Tu comprends ?
C'est vrai que c'est pas très clair.

Passons. Aujourd'hui Monsieur Dealwood m'a reproché mon retard pour mon devoir sur Rousseau, comme d'habitude.
J'suis obligé d'écrire ces deux derniers mots ?
Je devrais essayer de compter le nombre de "comme d'habitude" qui sont inscrits dans ce foutu carnet.
De toute façon c'est toujours "comme d'habitude".
Cette putain de routine me rend dingue. C'est toujours la même chose, tous les jours.
Bordel, en plus certains profs se plaignent car je ne souris pas. Est-ce que je leur dicte leur façon de respirer moi ? Sérieusement ?

Ah, et il se passe des choses bizarres dans les couloirs. Je crois qu'on m'espionne en ce moment. J'ai été suivi par quelqu'un en tout cas, et c'était pas un prof.
Un fantôme ? C'est assez absurde.
Je m'en fous, mais c'est pas net.
J'attends qu'Alex s'endorme et je reviens.

|Vendredi 16 février|
23:30

Ça y est, il dort.
Je suis sur le balcon pour pouvoir regarder le ciel.
On voit très bien les étoiles ce soir.
La tienne est toujours là, aux côtés de la lune. Tu veilles sur moi, de là-haut, je sens ta présence.
Maman prie le soir pour te revoir auprès de nous, mais tu n'es pas là. Pourquoi tu ne nous fais pas un signe ?

Tu n'imagines même pas à quel point tu peux me manquer Krystal.
Papa dit souvent: «Prier chaque soir pour revoir son enfant revenir auprès de soi, c'est comme battre un briquet vide pour revoir sa dernière étincelle.»
Je trouve ça magnifique.
Tu es comme une flamme qui s'est éteinte au final.

Mon dieu, tu me manques.
Ça aussi, je crois que je te le dis tous les soirs. Cette routine-là je peux malheureusement rien y faire.
Tu sais, je meurs à petit feu sans toi.
C'est comme si chaque jour était de plus en plus dur à vivre.
Ton frère se meurt.
Reviens-lui.

Ramène-moi à la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant