Chapitre 1: Le métro du soir...

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Le métro était bondé. Jamais vu autant de monde dans un seul wagon. Je comptais mentalement les stations qu'il me restait avant de descendre. Si toutefois je pouvais descendre. Denfert, Mouton-Duvernet et Alésia. Ce vacarme de fer, ce brouhaha, ces conversations, et puis la chaleur dégagée par tous ces gens me donnait la migraine. Après quelques minutes qui me parurent des années, je devinai enfin Alésia, derrière cette masse de gens. J'essayai de me faufiler entre tous ces gens: une vieille femme avec sa canne, cinq gamins, juste derrière elle, et jusqu'à la porte, encore une femme, un homme, une autre femme, un gendarme. Mais voilà, je ne m'y étais pas pris assez tôt. Je voyais devant moi les portes en fer se fermer et rajouter dix minutes supplémentaires de marche à mon trajet. Je devais continuer jusqu'à la porte d'Orléans, puis remonter l'avenue d'Orléans jusqu'à Alésia. L'intérêt de Porte d'Orléans, c'est que c'était le terminus de la ligne. Tout le monde était obligé de descendre s'il ne voulait pas repartir dans l'autre sens.
Je descendis sans trop d'encombre, et remarquai comment les wagons de devant étaient vides par rapport au mien. Tout ça à cause de cette circulaire obligeant tous les juifs à monter au dernier wagon des métro. Déjà six mois maintenant que cette circulaire débile s'appliquait. Le dernier wagon était tellement bondé, et s'était fait une si mauvaise réputation qu'il se faisait appelé la "synagogue".
Une fois le quai longé, je descendais les escaliers, me plongeant dans les entrailles de la station. Je n'avais jamais compris pourquoi cette station avait une architecture si illogique. Pourquoi il fallait descendre des escaliers pour remonter à la surface. Perdu dans mes pensées, je n'avais pas vu que deux officiers de la Gestapo me fixaient d'un regard mauvais.

L'un d'eux s'approcha de moi, me prit au collet, en me soulevant limite du sol et me dit en allemand:

" Wie kannst du es wagen, so mit mir zu reden?"

Je voyais la pitié dans les regards de tous les gens autour qui détournaient le regard et pressaient leur pas. L'officier répéta:

"Wie kannst du es wagen, so mit mir zu reden?"

Le problème, c'est que je ne comprenais pas un mot d'allemand. Le deuxième officier me traduit d'un accent allemand très prononcé et d'un ton encore plus glacial et méprisant:

"Comment oses-tu nous parler de la sorte?"

Les battements de mon cœur commencèrent à s'accélérer. Je voyais de la haine pure dans ses yeux. Son haleine, mélange immonde d'alcool et de cigarette remplissait mes narines.

-Herr... Je... Ich... spreche... keine... Deutsche... Je ne parle pas allemand.

L'officier fouilla alors mes poches et en tira un billet de vingt francs. Après l'avoir impunément fourré dans sa poche, il me dit de filer.

J'avançais alors rapidement à travers l'avenue d'Orléans, histoire de ne pas faire d'autres mauvaises rencontres. Tout en marchant je vérifiais que l'Allemand ne m'avait pas volé d'autres choses, comme mes clés par exemple, mais non, heureusement, elles étaient bien là. De toute façon, ça n'aurait pas été un problème de les refaire faire, mon père était serrurier. Ce qui m'embêtait vraiment à ce moment précis, c'était d'avoir perdu, bêtement mon billet de vingt francs.
Si j'avais pu descendre à Alésia, je l'aurais toujours. J'aurais pu aller m'acheter chez Gilbert des biscuits au noir. Parce que depuis le début de la guerre, depuis maintenant presque deux ans et demi, nous avions faim. Et encore plus depuis l'arrestation de Tata Ruth. Et oui, avec elle, il ne suffisait que d'aller faire des provisions une ou deux fois par mois. Elle habitait en Sologne, c'était Papa qui y allait le plus souvent, il fallait partir à vélo et suivre la RN20. On ne pouvait pas se perdre, c'était tout droit depuis la Porte d'Orléans, jusqu'à Lamotte-Beuvron. Il partait généralement le samedi vers 7h30, pour être arriver là bas largement avant le couvre-feu, dormait là bas, et revenait un charriot rempli de volailles, de pommes de terre, d'œufs et de lait. Puis il fallait qu'il fasse le chemin inverse le dimanche chargé de victuailles. Il ne fallait pas non plus qu'il se fasse arrêter. Bien que ça ne soit pas illégal de ramener de la nourriture à Paris, ça restait mal vu, comme tout le monde en manquait... Et puis comme on voyait qu'il était juif, ça n'arrangeait pas son cas.

Enfin tout ça c'était fini... Il y a un mois de ça, Ruth avait été arrêtée car elle avait été prise en train de vendre ses œufs au marché noir. Depuis, pour survivre, on devait aussi se rendre au marché noir. Et oui, pas de tickets de rationnement quand on est juif. Enfin quand on est juif... Faut savoir ce que ça veut dire être juif.
Sur ma mère, mon père et moi, aucun de nous n'étions croyants, et encore moins pratiquants. Seulement voilà, mes ancêtres étaient juifs, et par conséquent j'étais juif. Par conséquent, je devais me taper des wagons de métro bondés, par conséquent, je devais me faire voler par un soldat allemand, par conséquent je devais crever de faim, par conséquent je devais tomber dans l'illégalité pour me nourrir, par conséquent, je devais supporter à moi seul toutes les causes de la guerre. Tout ça parce que mes ancêtres étaient juifs. Mais si on avait ce raisonnement, tout le monde était juif, non? Il était pas juif à l'origine Jésus?

Enervé par ces idées, j'accélérai le pas, la tête remplie de haine. Peut être que les Nazis nous détestaient, mais au moins, c'était réciproque. Perdu dans mes pensées, j'étais déjà au niveau de l'église Saint-Pierre de Montrouge. Je tournai rue d'Alésia, il me restait à peine cent mètres à parcourir, jusqu'au 97. Dans cent mètres, ma journée serait enfin finie, ma tâche accomplie. J'avais eu de la chance de ne pas croiser ces officiers avant. De toutes manières, en ces périodes troubles, mieux valait voir le verre à moitié plein. C'était la devise de mon amie Lili.

Je franchissais le seuil de la serrurerie de mon père. Après l'avoir salué d'un signe de main (il était avec des clients), je montai dans ma chambre, à l'étage. Notre appartement n'était pas grand, mais il avait le mérite d'être convivial. Il était composé de trois pièces en haut, la chambre de mes parents donnant sur la cours de l'arrière du bâtiment, ma chambre, au dessus de la porte de l'immeuble et d'un séjour, au dessus du commerce. J'avais toujours habité ici. Ma mère était du 14ème. Elle était née Square de Chatillon, à quelques rues d'ici. Elle allait au collège à cinquante mètres de l'immeuble, et avait fait son baptême, sa communion et tout le tralala à Saint Pierre de Montrouge (l'église sur la place d'Alésia). Mon père, quant à lui était né en Pologne. Il avait fuit la pauvreté en Pologne et avait tout quitté pour venir faire ses études à Paris. Après avoir appris le français et étudié la philosophe et la théologie, il avait rencontré Maman. Il avait toujours dit que les religions c'était des conneries. Ironie du sort, un immense panneau indiquait que la serrurerie de mon père était une entreprise juive.

Et moi, j'étais en seconde au lycée Montaigne dans le 6ème. Il n'y avait pas de places dans d'autres lycées. Et ce malgré l'exode qui avait touché à l'arrivée des Boshs. Quoi que de toutes manières les gens étaient revenus. Ils n'avaient plus peur, ou, du moins, ils s'habituaient à leur présence. La peur des Nazis nous était désormais réservée à nous. Enfin, tout le monde allait un peu se calmer avec l'arrivée des fêtes de fin d'année, dans un peu plus d'un mois. Ce serait peut être plus facile pour les opérations...

CHAPITRE 2 DISPONIBLE !

A suivre...
(Mais je vous promets, ce que je vous réserve pour la suite, ça va déchirer!
A bientôt, Axel)

1942Où les histoires vivent. Découvrez maintenant