Avant

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Il pleuvait à verse sur Paris. Et le vent soufflait comme s'il voulait soulever les maisons. En bref, un temps à ne pas mettre un chien dehors. Pourtant, moi, j'étais dehors. Sous la pluie, en t-shirt, je courais comme si ma vie en dépendait. En fait, ma vie en dépendait. Ils étaient encore derrière moi, ils me rattrapaient presque. A cause de la pluie, le sol était glissant. Je dérapais à chaque virage, je trébuchais sur les pavés, mais je ne pouvais pas m'arrêter. Pas avec eux à mes trousses.

Je les avais distancés, mais je les entendais encore hurler mon nom. « Julien la tapette ! Julien la tapette ! »  

J'avais les poumons en feu, le cœur qui battait si fort qu'il allait exploser, le souffle coupé, mais je ne m'arrêtais pas. Je savais où aller pour les semer. Les rues s'enchainaient sans fin, j'avais peur d'avoir loupé la ruelle. Mais non, elle était là. Derrière moi, leurs voix se rapprochaient et moi, je fatiguais. Arrivé devant la ruelle, mon cœur s'arrêta soudainement. Une voiture était garée là et bloquait l'accès à la rue ! Le passage que je devais emprunter était donc bloqué. Et moi, j'étais là, comme un con, sous la pluie, et je n'ai pas réagi.

Le temps que je cherche une idée, ils étaient déjà là. Les grosses brutes de ma classe. Ils avaient percé mon secret à jour. Ce que je me suis donné tant de mal à cacher durant toute l'année scolaire, ils l'ont découvert. Je n'ai même pas cherché à me défendre.

-          Bah alors, il a peur, Julien la tapette ? demanda le plus gros.

-          Tu sais ce qu'on en fait, des tapettes, nous ? demanda un autre.

Bien sûr que je le savais. Toute l'année, je les avais entendus menacer les garçons de ma classe qui se risquaient à défendre les homosexuels quand on faisait des débats, en classe. Toute l'année, j'ai fait semblant d'être de leur côté, parce que je sais faire que ça, de toute manière. Faire semblant. Mais faire semblait n'était pas assez, puisqu'ils m'avaient démasqué.

Les coups sont partis sans que je ne m'y attende. Un énorme coup de poing dans la tempe qui m'a cloué au sol. Il faut dire que je ne suis pas tellement résistant. Et puis des coups de pieds : dans les côtes, dans le crâne. Les gifles pleuvaient vers mon visage, et rapidement, j'ai sombré dans l'inconscience.

Ils sont partis en me laissant assommé et en sang sur les pavés parisiens, alors que la pluie martelait mon corps frêle et douloureux. Une femme est sortie de chez elle et m'a soigné, enfin je pense, je ne m'en souviens plus trop. Quand je me suis réveillé, elle a insisté pour m'amener aux urgences, au cas où j'aurais une commotion. J'ai fermement refusé. Elle a aussi voulu m'amener à la police pour porter plainte, mais j'ai dit que j'irai avec mes parents. Elle m'a laissé repartir, rassurée, sans savoir que je mentais. Ça aussi, je sais bien le faire : mentir. Ma vie entière est basée sur le mensonge.

Lorsque je suis rentré chez moi, ce soir-là, ma mère a hurlé de peur en voyant mon visage défiguré. J'avais vite trouvé un mensonge sur le chemin pour la rassurer. Mon père, lui, n'avait pas même pas réagi.

-          T'en fais pas, maman. Je me suis battu avec deux gars qui emmerdaient une meuf. J'pouvais pas la laisser seule, tu vois. 

Elle a regardé mes blessures, rien de grave apparemment. Mon père m'a félicité. Il a dit que j'étais un homme, un vrai, un courageux ! Pas comme ces pédales qui manifestaient pour se marier dans les rues.

Je suis directement monté dans ma chambre, où j'avais soigneusement rangé toutes mes affaires d'école. Elles ne me serviront plus l'année prochaine : je changeais d'école en septembre. Un peu de changement, une nouvelle vie, avait dit mon grand frère, Thibault. Mais je savais pertinemment que c'était faux. Rien ne changerait.

Une vie à faire encore semblant, une vie à encore mentir pour survivre. C'était ce que je pensais, moi, Julien Falco, 18 ans, gay, pleurnichant dans son lit comme la tapette qu'il est. Mais j'étais loin, très loin du compte. 

Roméo et JulienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant